
Enquête sur l’accès aux droits sur les relations entre police et population : que retenir ?
24 juin 2025
L'enquête sur l'accès aux droits est une série d'études menées par le Défenseur des droits pour identifier et mesurer les atteintes aux droits dans ses domaines d'intervention. Après une première édition en 2016, le Défenseur des droits renouvelle l'enquête en 2024 pour observer les évolutions.
Elle se compose de 5 volets. Le premier, publié le 23 juin 2025, est consacré aux forces de sécurité et permet de mieux comprendre les interactions entre la police et la population.
Contrôles d’identité, dépôts de plainte et confiance : quel état des lieux ?
L'enquête menée par le Défenseur des droits analyse les relations entre les forces de sécurité et la population en interrogeant deux moments d'interaction, les contrôles d'identité et les dépôts de plaintes et de mains courantes, et questionne la confiance accordée aux forces de sécurité.
Les enseignements
Ce que montre l’enquête :
- L'image des forces de l'ordre est très liée à la qualité des interactions avec les agents. Lorsque l'échange se passe mal, c'est la confiance dans la police ou la gendarmerie et plus largement dans l'ensemble des institutions qui s'en trouve dégradée. Au final, c'est le sentiment d'appartenance à la collectivité qui est altéré.
- La proportion de personnes ayant fait l’objet d’un contrôle d’identité a connu une forte augmentation entre 2016 et 2024. En 2016, 16 % des personnes interrogées déclaraient avoir été contrôlées au moins une fois sur les 5 dernières années. En 2024 elles sont 26%.
- Certains groupes sociaux restent surexposés au risque d’être contrôlés et d’être confrontés à des comportements non professionnels. Il s’agit notamment des jeunes perçus comme noirs, arabes ou maghrébins ou des personnes se déclarant non-hétérosexuelles.
- Pour la première fois, le Défenseur des droits s’interroge sur l’expérience lors des dépôts de plainte et de main courante. En ressort des pratiques contraires à la déontologie des forces de l’ordre. Ainsi, certains facteurs augmentent le risque d’être confronté à un refus de dépôt de plainte ou de main courante ou des comportements non professionnels : le port de signe religieux, le handicap et le fait d’être au chômage.
Les chiffres à retenir

Enquête sur l'accès aux droits - 2e édition - Relations police / population : contrôles d’identité et dépôts de plainte
1ère édition en 2016. Une enquête en 5 volets : déontologie des forces de l'ordre (1er volet), les services publics, les discriminations dans l’emploi, les droits de l’enfant et les publics vulnérables (à venir). 5 030 personnes interrogées en 2024.
Enquête menée par téléphone (Ipsos) auprès de 5 030 personnes, âgées de 18 à 79 ans résidant en France métropolitaine, du 10 octobre 2024 au 11 janvier 2025.
Déontologie des forces de sécurité
Contrôles d'identité et dépôt de plainte/main courante constituent les principales modalités de contact entre police et population et contribuent à construire l’image que se font les individus des forces de sécurité.
Estimés à 32 millions par la Cour des Comptes en 2021, les contrôles d'identité sont un sujet de préoccupation
du Défenseur des droits.
Les dépôts de plainte ou de main courante constituent une autre modalité centrale des interactions et méritent
à ce titre d’être étudiés.
L’expérience des contrôles d’identité
- 26% de la population a été contrôlée au moins une fois sur les 5 dernières années en 2024, contre 16 % en 2016.
- 52% des personnes contrôlées déclarent ne pas avoir bénéficié d’une justification.
- 19% des personnes contrôlées déclarent des comportements non-professionnels.
Les facteurs augmentant le risque d’être contrôlé :
- Avoir entre 18 et 24 ans (+80% par rapport à une personne entre 45 et 54 ans)
- être un homme (+100% de risque par rapport aux femmes)
- être perçu comme noir, arabe ou magrébin (+30% de risque par rapport aux personnes perçues comme blanches)
- Les jeunes hommes perçus comme noirs, arabes ou magrébins ont : 4x plus de risque d’être contrôlés, 12x plus de risque d’avoir un contrôle “poussé”
- Les personnes non-hétérosexuelles ont +50% de risque d'être confrontées à des comportements non-déontologiques
L’expérience du dépôt de plainte ou de main courante
- 1 personne sur 3 a déjà déposé plainte au cours des 5 dernières années.
- 1 personne sur 5 a essuyé un refus de dépôt.
- 10% des personnes ayant souhaité déposer plainte déclarent des comportements non-professionnels.
Les facteurs augmentant le risque le risque de voir sa plainte refusée :
- Le handicap
- Le port d’un signe religieux
- Le fait d’être au chômage
- Être habitant de quartiers prioritaires de la politique de la ville
- Être perçu comme une personne noire, arabe ou magrébine
Les facteurs augmentant le risque de faire l'objet de comportements non-professionnels :
- Être en situation de handicap (+100% de risque par rapport à une personne non concernée par le handicap)
- Avoir entre 18 et 24 ans (+80% par rapport à une personne entre 45 et 54 ans)
- Être perçu comme non blanc (+80% par rapport à une personne perçue comme blanche)
La confiance en l’institution policière
En présence d’un policier ou d’un gendarme sur la voie publique, les personnes se disent :
- 22% méfiantes
- 50% confiantes
La confiance est étroitement liée à la qualité des interactions avec les forces de sécurité
Quand un comportement non-professionnel a eu lieu :
- lors d'un contrôle : 61% sont méfiants
- lors d'un dépôt de plainte : 51% sont méfiants
Quand un contrôle a été expliqué : 53% sont confiants
Quand une plainte a été enregistrée : 51% sont confiants
Connaître et faire valoir ses droits
L'enquête sur l'accès aux droits, une méthodologie solide pour un éclairage nécessaire
Au total, 5 030 personnes ont été interrogées par téléphone. La durée moyenne des entretiens était de 37 minutes.
L’enquête a été menée par l’institut de sondage Ipsos entre le 10 octobre 2024 et le 11 janvier 2025.
Le questionnaire
Le questionnaire de l’enquête collecte des informations habituelles sur le profil social et démographique des personnes (âge, sexe, niveau de diplôme, lieu de résidence, etc.) mais aussi des informations relatives à d’autres caractéristiques telles que l’origine (appréhendée par le pays de naissance, la nationalité des parents et l’origine perçue), la religion (auto-déclarée et perçue), l’orientation sexuelle, la situation de santé ou de handicap, afin de mieux caractériser les difficultés ou discriminations auxquelles sont confrontés certains groupes sociaux. Cette spécificité de l’enquête lui permet, dans une perspective intersectionnelle, d’articuler les différentes dimensions productrices de discriminations et d’inégalités.
Afin de tester le questionnaire, la formulation et la compréhension des questions, leur enchaînement et la durée de passation, une enquête pilote a été préalablement réalisée en septembre 2024 auprès de 50 personnes
Les répondants
L’échantillon a été constitué de manière aléatoire pour pouvoir établir des estimateurs représentatifs de la population âgée de 18 à 79 ans résidant en France métropolitaine.
La sélection des individus a été réalisée à partir d’un sondage aléatoire à deux degrés, reposant sur : (1) la constitution d’une base de numéros de téléphones filaires et mobiles, correspondant à la population des ménages en France métropolitaine puis (2) le tirage au sort au sein des ménages, selon la méthode Kish, de la personne à interroger.
Les recommandations du Défenseur des droits
Au regard des résultats de l’enquête de 2024, le Défenseur des droits émet des recommandations pour améliorer les relations entre les forces de sécurité et la population et le respect des règles de déontologie de la sécurité.
Sur les contrôles d’identité
- Mettre en place un dispositif d’évaluation de la pratique des contrôles d’identité, de leur efficacité et de leur impact sur les relations avec la population et veiller à une publicité périodique des résultats obtenus.
- Modifier le cadre légal des contrôles d’identité, en précisant à l’article 78-2 du code de procédure pénale que
- les contrôles d’identité ne doivent pas être fondés sur les critères de discrimination prévus par la loi ;
- quel que soit le cadre juridique du contrôle effectué, le motif du choix de la personne contrôlée doit être objectivé et énoncé à la personne contrôlée, dans la mesure du possible.
- Encadrer la pratique des contrôles d’identité :
- en formalisant une doctrine d’emploi relative aux conditions du recours aux contrôles d’identité et au déroulé du contrôle (notamment concernant le recours aux actes connexes, tels que les palpations de sécurité et les inspections visuelles) ;
- en réaffirmant le rôle et les obligations de l’autorité hiérarchique directe dans l’encadrement des opérations et des pratiques professionnelles.
- en renforçant l’encadrement de proximité et en organisant périodiquement des séances de retour d’expérience, en s’appuyant notamment sur les enregistrements issus des caméras-piétons.
- Renforcer les modules dédiés aux contrôles d’identité dans les formations initiales et continues des forces de l’ordre, en veillant à ce qu’ils soient effectivement suivis.
- intégrer dans ces modules l’interdiction des comportements discriminatoires et les moyens d’améliorer les relations des agents de la force publique avec la population.
- impliquer la hiérarchie pour qu’elle soit partie prenante d’un réel changement de culture dans l’institution ;
- évaluer l’efficacité de ces modules de formation sur la conformité des pratiques professionnelles.
- Assurer la traçabilité des contrôles d’identité par tous moyens, lesquels pourraient être définis à la suite d’expérimentations, afin de garantir aux personnes contrôlées la possibilité d’exercer utilement un recours, notamment en cas d’allégation de discrimination.
- Garantir l’effectivité du contrôle du parquet sur les opérations de contrôles d’identité, en police judiciaire comme en police administrative, tel que préconisé par le ministère de la justice dans la dépêche du 6 mars 2017 (CRIM-PJ N° 05-28-H8) ; particulièrement concernant les contrôles d’identité réalisés sur réquisitions judiciaires :
- au moment de la délivrance des réquisitions, pour vérifier la légalité et l’opportunité des opérations sollicitées ;
- après la réalisation des opérations à partir du rapport devant être remis par le chef du service de police ou de l’unité de gendarmerie ayant procédé aux contrôles, lequel doit comporter « des précisions relatives au cadre juridique et aux modalités des contrôles, des informations statistiques et tout élément permettant à l’autorité judiciaire de s’assurer du caractère non discriminatoire de ces contrôles, à travers notamment la présentation des critères ayant présidé au choix des personnes à contrôler ».
- Garantir l’effectivité des enquêtes et des réponses aux comportements discriminatoires
- Garantir l’effectivité de l’enquête dès lors que les autorités compétentes, administratives et/ou judiciaires, sont saisies d’une plainte pour contrôle d’identité discriminatoire. Cela implique une indépendance de l’autorité enquêtrice ainsi qu’une célérité dans le recueil des preuves disponibles (identification des agents mis en cause, enregistrements vidéos des caméras-piétons, des caméras de surveillance, consultations des fichiers, rapports, témoignages…) pour vérifier l’allégation de discrimination ;
- Réaffirmer le rôle de l’autorité hiérarchique dans la détection des signes laissant suspecter un risque de discrimination et leur devoir de remontrance à cet égard, ainsi que leur devoir de traiter sans tarder les discriminations établies par des réponses adaptées.
- Renforcer le contrôle interne exercé par les inspections générales par un suivi détaillé du traitement des signalements relatifs aux contrôles d’identité afin de leur permettre une appréciation globale du respect de la déontologie des contrôles d’identité par les forces de l’ordre ;
- Garantir l’effectivité du contrôle externe exercé par le Défenseur des droits :
- En lui octroyant les moyens nécessaires ;
- En lui garantissant l’accès à l’ensemble des éléments nécessaires à l’exécution de sa mission ;
- En portant toute l’attention nécessaire à ses saisines de l’autorité investie du pouvoir d’engager les poursuites disciplinaires, en répondant à celles-ci, et en motivant les éventuelles décisions subséquentes de ne pas engager de poursuite disciplinaire.
Sur l’accueil en police ou gendarmerie
Garantir un accès équitable et de qualité au service public policier, notamment par :
- Le renforcement de la formation initiale et continue des agents à l’accueil et à la prise en charge des publics, notamment les plus vulnérables, et la valorisation de cette mission d’accueil par l’institution ;
- La mise en place des moyens matériels et humains nécessaires à la garantie d’un accès effectif et sans discrimination au service public de la police ;
- Le développement de dispositifs d'évaluation et de suivi pour garantir une qualité d'accueil homogène sur l'ensemble du territoire.
Le Défenseur des droits rappelle que l’accès de tous au service public de la police et de la gendarmerie est un enjeu fondamental d’égalité et de respect des droits fondamentaux.
Aller plus loin
Consultez les 5 volumes de l'enquête sur l'accès aux droits de 2016 :
- Enquête sur l’accès aux droits volume 1 - Relations police / population : le cas des contrôles d'identité - janvier 2017 (pdf, 421.98 Ko)
- Enquête sur l’accès aux droits volume 2 - Relations des usagères et usagers avec les services publics : le risque du non-recours - mars 2017 (pdf, 713.45 Ko)
- Enquête sur l'accès aux droits - volume 3 - 10e baromètre de la perception des discriminations dans l'emploi - mars 2017 (pdf, 430.95 Ko)
- Enquête sur l’accès aux droits Volume 4 - Place et défense des droits de l'enfant en France - mai 2017 (pdf, 683.6 Ko)
- Enquête sur l'accès aux droits - volume 5 - Les discriminations dans l'accès au logement - décembre 2017 (pdf, 571.9 Ko)