Retour sur le dernier collège déontologie de la sécurité

04 août 2025

Le collège "déontologie de la sécurité" s'est réuni le 20 mai 2025. Quatre projets de décisions lui ont été soumis pour recueillir son avis sur des manquements aux règles déontologiques par des forces de sécurité publique dans des contextes variés : évacuation d'un campement précaire, rétention administrative, éloignement par voie aérienne et interpellations de masse lors d'une manifestation lycéenne. Ces décisions ont mis en lumière des manquements au respect de la dignité humaine, à l'usage proportionné de la force, ainsi que des usages problématiques dans des procédures de recours à l’isolement et aux moyens de contention. Elles font apparaître également des défaillances dans le fonctionnement de la chaîne hiérarchique.

Rappel :

Le Défenseur des droits est l’autorité de contrôle externe du respect de la déontologie par les professionnels de la sécurité. Lorsqu’il est saisi par une personne qui estime qu’un professionnel de la sécurité (policier, gendarme, personnel pénitentiaire, agent de sécurité…) n’a pas respecté ses obligations déontologiques, il enquête pour déterminer si des manquements sont avérés.

Comme le prévoit la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, « Le Défenseur des droits préside les collèges qui l'assistent pour l'exercice de ses attributions en matière de défense et de promotion des droits de l'enfant, de lutte contre les discriminations et de promotion de l'égalité, ainsi que de déontologie dans le domaine de la sécurité. ».

Les collèges sont présidés par la Défenseure des droits. Les adjointes et l'adjoint en sont les vice-présidents et peuvent suppléer la Défenseure pour la présidence de ces collèges.

Le collège déontologie de la sécurité est composé de :

  • trois personnalités qualifiées désignées par le président du Sénat,
  • trois personnalités qualifiées désignées par le président de l'Assemblée nationale,
  • un membre ou ancien membre du Conseil d'Etat désigné par le vice-président du Conseil d'Etat,
  • un membre ou ancien membre de la Cour de cassation désigné conjointement par le premier président de la Cour de cassation et par le procureur général près ladite cour.

En savoir plus sur la composition des collèges

Évacuation illégale d'un campement précaire et usage inapproprié de gaz lacrymogènes

En novembre 2022, un campement informel abritant une vingtaine de personnes était évacué par les gendarmes. Lors de l’évacuation, les forces de sécurité publique ont fait usage de gaz lacrymogène et les tentes du campement ont été démontées.

En premier lieu, l’instruction du Défenseur des droits révèle un certain nombre d’irrégularités et de manquements aux règles en vigueur :

  • Faute de décision judiciaire ou administrative, l'évacuation était dépourvue de base légale ;
  • Contrairement aux dispositions légales et aux circulaires gouvernementales, aucune mesure d’accompagnement social n'a été mise en œuvre.

De plus, lors de cette évacuation, les forces de l’ordre n’ont pas permis la récupération des tentes, matelas et couvertures. La Défenseure des droits considère que les forces de l'ordre ont appliqué une conception trop restrictive de la notion d'effets personnels, privant les personnes de leurs biens et les précarisant davantage.

Enfin, la Défenseure des droits relève un certain nombre de manquements aux obligations déontologiques dans l’usage de la force lors de l’opération : 

  • L'usage de gaz lacrymogène sur les matelas et le contenu des tentes s'est fait en dehors du cadre d'emploi et n'était pas strictement nécessaire. La Défenseure des droits considère que les militaires ont ainsi dégradé des biens et manqué de discernement ;
  • L’absence de compte-rendu à l’issue de l’opération alors que les militaires ont fait usage d'une arme constitue un manquement à l’obligation de rendre compte, indispensable au contrôle par l’autorité hiérarchique et au contrôle externe.

La Défenseure des droits :

  • Recommande de veiller à la légalité des opérations d'expulsion et au respect de la dignité des personnes concernées.
  • Recommande qu'aucune évacuation de campement précaire ne soit effectuée sans dispositif de mise à l'abri.
  • Recommande la diffusion d'une note précisant que les tentes, matelas et couvertures constituent des biens personnels pouvant être emportés.
  • Recommande de modifier le cadre d'emploi des diffuseurs lacrymogènes pour inclure une obligation de rendre compte de leur usage.
  • Recommande un rappel de textes aux agents concernés.

Consulter la décision n°2025-126

Traitement inhumain et dégradant en centre de rétention administrative

Une personne retenue en centre de rétention administrative s'est plainte du comportement de policiers à son encontre.

L’instruction a fait apparaître des manquements aux obligations de courtoisie et d’exemplarité de la part d’un policier. Son attitude inadaptée étant susceptible d’accroître les tensions au cours de l’intervention, elle est constitutive d’un manquement à son obligation de discernement. La Défenseure des droits recommande un rappel de ses obligations déontologiques et une formation.

Le réclamant a été placé à l'isolement durant près de 24 heures en raison de son comportement. En l’absence d’éléments démontrant la persistance d’un trouble à l’ordre public durant la nuit, la Défenseure des droits considère que le maintien à l’isolement n’était pas justifié. Elle constate de plus que le réclamant n’a pas bénéficié d’un examen médical durant ce placement, ce qui contrevient au devoir de protection incombant aux agents.

La Défenseure des droits observe que le placement à l'isolement dans les centres de rétention est dépourvu de base légale et recommande au ministre de l'Intérieur d'engager des démarches pour que cette mesure soit strictement encadrée par la loi.

Par ailleurs, la personne retenue a été menottée et entravée au moyen d’une ceinture ventrale et de bandes velcro ainsi qu’un casque en mousse durant environ 8 heures. Si l’usage d’entraves et d’un casque pouvait sembler nécessaire au début de l’intervention, cette nécessité n’est pas démontrée par la suite. La Défenseure des droits considère qu’il s’agit d’un traitement inhumain et dégradant et relève un manquement à l’encontre du chef de centre, responsable du bon déroulement des mesures d’isolement. Elle recommande l’engagement de poursuites disciplinaires à son encontre. 

La Défenseure des droits rappelle que le recours à des moyens de contention, comme en l’espèce, n’est prévu par la loi qu’en matière d’hospitalisation complète sans consentement et qu’il fait l’objet d’un encadrement strict. Elle recommande qu’il soit mis fin à cette pratique de la contention par l’utilisation du dispositif dit de protection individuelle au sein des centres de rétention administrative.

Consulter la décision n°2025-127

Usage illégal de moyens de contrainte lors d'un éloignement par voie aérienne

Une personne étrangère s'est plainte de l'usage de la force par des policiers escorteurs lors de son éloignement par voie aérienne en mars 2023.

L’instruction relève plusieurs irrégularités :

  • Absence d’échange avec la personne expulsée avant l’opération d’éloignement : Contrairement à l’instruction du ministère de l’intérieur du 27 février 2019, les escorteurs n'ont pas pris le temps d'échanger avec la réclamante en amont pour garantir des conditions psychologiques favorisant son adhésion à la mesure. La Défenseure des droits relève des manquements aux obligations de préserver la santé psychologique et d'agir avec discernement.
  • Usage injustifié de moyens de contrainte non prévus par la loi : Les escorteurs ont utilisé tous les moyens de contrainte (casque souple, bandes velcro, dispositif de protection individuel) avant de les enlever en constatant que la personne était coopérative, sans justifier cet usage par un risque avéré. La Défenseure des droits relève un manquement à l'article R. 434-17 du code de la sécurité intérieure qui encadre le recours aux entraves.
  • Absence de compte-rendu à l’issue de la mission d’escorte : L'instruction ministérielle du 27 février 2019 ne fait pas mention de la nécessité d'établir un compte-rendu à l'issue de la mission d'éloignement. La Défenseure des droits considère cette absence de consignes précise comme un manquement de la hiérarchie. 

Au regard de l'ensemble des manquements constatés, la Défenseure des droits saisit le ministre de l'intérieur afin qu'il engage une procédure disciplinaire contre les escorteurs.

Elle recommande également la diffusion d'une note sur l'obligation de réaliser un entretien préalablement à la mesure d’éloignement, la mise en place d'un service psychosocial pour accompagner les fonctionnaires de police dans la préparation psychologique des personnes à éloigner, l'inscription des critères d'usage des moyens de contrainte dans l'instruction du 27 février 2019, l'interdiction de certains moyens (dispositif de protection individuel et casque) pour exécuter les missions d’éloignement, et la diffusion d'instructions précises sur l'obligation de rendre compte, systématiquement, du déroulé de la mission d’éloignement.

Consulter la décision n°2025-128

Interpellations de masse disproportionnées lors d'une manifestation étudiante

Le 22 mai 2018, cent-deux personnes entrées dans un lycée parisien à la suite d'une manifestation déclarée contre Parcoursup ont été interpellées par les forces de l'ordre. Treize mineurs et vingt-six majeurs se sont plaints des conditions de leur interpellation et de leur détention.

L’instruction du Défenseur des droits a révélé plusieurs manquements.

Manque de discernement dans la décision d'interpellation

Sans remettre en cause l'opportunité de l'évacuation, ni celle d'engager des poursuites judiciaires ultérieures, la Défenseure des droits considère que la décision d'interpeller l'ensemble des occupants n'a pas respecté un juste équilibre entre la liberté d'expression et de réunion d'une part, et l'atteinte à l'ordre public de l'autre. Elle constate notamment :

  • Le caractère pacifique de l'action revendicative
  • L'absence de moyens permettant des interpellations respectueuses des droits
  • Le maintien de l'instruction d'interpellation malgré les alertes sur les difficultés logistiques
  • L’absence de recherche d’alternatives
  • L’absence de coordination avec les autres services intervenants
  • L'absence de critères de différenciation entre les manifestants
  • Le manque d'attention à la présence de nombreux mineurs

La Défenseure des droits conclut à un manquement des autorités compétentes à leur obligation de discernement.

Conditions de détention dégradées

Plus de six heures se sont écoulées entre l'interpellation et la notification des droits en garde à vue pour la majorité des réclamants. Dans cette attente, ils ont été maintenus dans un bus, sans accès à l’eau et aux toilettes, puis sur un parking, entre les barrières de chantier. L'absence d'instruction et de mesures pour préserver la santé et la dignité des personnes interpellées constitue un manquement au devoir de protection et une atteinte aux droits et à l'intérêt supérieur de l'enfant.

Défaillances dans l'obligation de rendre compte

L'absence d'écrit sur les conditions de détention et l'absence d'identification de la chaîne hiérarchique contreviennent à l'obligation de rendre compte.

La Défenseure des droits recommande au ministre de l'intérieur, de ne recourir aux interpellations de masse qu'en dernier recours, de rappeler l'obligation de discernement quant au recours à l’interpellation et la nécessité d'envisager si des alternatives sont possibles, de prendre systématiquement en compte l'intérêt supérieur de l'enfant en présence de mineurs, de garantir l'information du procureur en cas de conditions de détention dégradées et d'assurer le suivi des mesures de contrainte et la rédaction de rapports précis.

Consulter la décision n°2025-129

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