Retour sur le collège déontologie de la sécurité du 20 mars 2025

07 mai 2025

Le collège « déontologie de la sécurité » s’est réuni le jeudi 20 mars 2025. Plusieurs projets de décisions lui ont été soumis pour recueillir son avis.
Deux décisions concluent à des manquements aux règles déontologiques par des agents de l’administration pénitentiaire. Deux décisions relèvent des manquements et des atteintes à la dignité des personnes interpellées lors d’opérations menées par des gendarmes et des policiers. Enfin, une décision conclut à une atteinte injustifiée à la liberté de manifester et un usage disproportionné de la force lors d’une opération de maintien de l’ordre à Paris.
Dans plusieurs de ces décisions, la Défenseure des droits relève des défaillances dans le fonctionnement de la chaîne hiérarchique, soit en raison de manquements à l’obligation de rendre compte de la part des agents, soit en raison de l’absence de contrôle hiérarchique par les supérieurs.

Rappel :

Le Défenseur des droits est l’autorité de contrôle externe du respect de la déontologie par les professionnels de la sécurité. Lorsqu’il est saisi par une personne qui estime qu’un professionnel de la sécurité (policier, gendarme, agent de sécurité…) n’a pas respecté ses obligations déontologiques, il enquête pour déterminer si des manquements sont avérés.

Comme le prévoit la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, « Le Défenseur des droits préside les collèges qui l'assistent pour l'exercice de ses attributions en matière de défense et de promotion des droits de l'enfant, de lutte contre les discriminations et de promotion de l'égalité, ainsi que de déontologie dans le domaine de la sécurité. ».

Les collèges sont présidés par la Défenseure des droits. Les adjointes et l'adjoint en sont les vice-présidents et peuvent suppléer la Défenseure pour la présidence de ces collèges.

Le collège déontologie de la sécurité est composé de :

  • trois personnalités qualifiées désignées par le président du Sénat,
  • trois personnalités qualifiées désignées par le président de l'Assemblée nationale,
  • un membre ou ancien membre du Conseil d'Etat désigné par le vice-président du Conseil d'Etat,
  • un membre ou ancien membre de la Cour de cassation désigné conjointement par le premier président de la Cour de cassation et par le procureur général près ladite cour.

En savoir plus sur la composition des collèges

Non-respect des obligations déontologiques dans des établissements pénitentiaires

Fouille inopinée d’une cellule par les agents pénitentiaires, non-respect des consignes et manquement au devoir de contrôle de l’action des agents

Des surveillants pénitentiaires ont remarqué qu’un détenu utilisait un téléphone portable à travers l’œilleton de sa cellule. Ils sont immédiatement entrés dans la cellule pour récupérer l’objet en recourant à la force. La Défenseure des droits a été saisie par le détenu qui invoque des violences subies lors de cette fouille inopinée.

Les surveillants ont déposé plainte contre le détenu. Le tribunal correctionnel a considéré que celui-ci s’était rebellé et s’était montré violent envers des surveillants. Le Défenseur des droits ne relève donc pas de manquement aux principes de nécessité et de proportionnalité de l’usage de la force.

Néanmoins, la Défenseure des droits considère qu’en pénétrant dans la cellule de façon inopinée, sans avertir leur supérieur hiérarchique, les surveillants n’ont pas respecté les consignes encadrant les fouilles données par la direction de l’administration pénitentiaire. Cela constitue un manquement à leur obligation d’obéissance et de respect des consignes hiérarchiques.

Un surveillant de l’établissement avait signalé cette pratique irrégulière des fouilles généralisées au sein de l’établissement, du fait de rondes non programmées durant la nuit et d’entrées dans les cellules sans l’aval de la hiérarchie. Ni la direction de l’établissement ni la direction de l’administration pénitentiaire n’ont agi à la suite de ce signalement. Toutes deux ont manqué à leur devoir de contrôle. 
La Défenseure des droits recommande au ministre de la justice d’adresser des rappels aux agents et à la direction de l’établissement et d’instaurer une procédure garantissant l’ouverture systématique d’enquêtes internes en cas de signalements.

Consulter la décision n°2025-062

Extraction judiciaire avec usage de la force durant une consultation médicale

Un détenu a été extrait de force par les agents pénitentiaires alors qu’il était en cours de consultation médicale à l’unité sanitaire de la maison d’arrêt.

L’instruction fait apparaître un usage de la force non nécessaire et disproportionné ainsi qu’une atteinte au secret médical.

La Défenseure des droits constate qu’aucun rapport n’a été rédigé par les agents à la suite de cette intervention, ce qui constitue un manquement à l’obligation de rendre compte. À la demande de sa hiérarchie, l’agent a rédigé un rapport près d’un an plus tard et en a remis une version partielle, occultant le recours à la force, à l’enquêteur judiciaire, ce qui contrevient à l’obligation de loyauté envers les institutions républicaines. La Défenseure des droits constate enfin que la direction de l’établissement a manqué à son obligation de contrôle.

La Défenseure des droits informe le procureur de la République de l’existence de deux versions divergentes du rapport. Elle saisit le ministre de la justice afin d’engager des poursuites disciplinaires à l’encontre des surveillants concernés et lui recommande de rappeler à la direction de l’établissement ses obligations en matière de contrôle hiérarchique et de respect des droits des détenus.

Pour finir, la Défenseure des droits constate que la direction de l’administration pénitentiaire n’a pas répondu à l’ensemble des demandes qui lui ont été adressées lors de son instruction, ce qui complexifie et entrave l’exercice de sa mission de contrôle externe. Elle recommande la mise en place de mesures pour prévenir le renouvellement de ces manquements dans les réponses adressées par la direction de l’administration pénitentiaire au Défenseur des droits.

Consulter la décision n°2025-063

Atteintes à la dignité lors d’interpellations menées par les forces de sécurité

Traitement dégradant et atteinte à la dignité lors d’une interpellation

La Défenseure des droits a été saisie par un restaurateur lors de son interpellation au sein du restaurant dont il est le gérant. Plusieurs manquements aux règles déontologiques ont été constatés :

  • Un fonctionnaire de police a filmé l’interpellation avec son téléphone personnel. La loi prévoit qu’une intervention de police peut légalement être filmée par les caméras individuelles portées par les policiers, par les caméras situées sur la voie publique ou les établissements publics ou privés, ou encore par les citoyens éventuellement témoins de l’intervention. En revanche, toute utilisation de dispositifs personnels d’enregistrement par des policiers, qui intervient en dehors de tout cadre légal, est interdite. La Défenseure des droits conclut à un manquement à l’obligation de respect de la loi par l’agent.
  • Un autre agent, lui, a débranché la caméra de surveillance du restaurant en dehors de tout cadre légal, sans autorisation de son propriétaire, et sans en rendre compte à sa hiérarchie. La Défenseure des droits relève un manquement de l’agent à son obligation de respect de la loi ainsi qu’à son obligation de rendre compte.
  • Poussé par un agent vers l’avant alors qu’il était menotté dans le dos, le restaurateur présentait de multiples blessures graves. La Défenseure des droits considère le geste dangereux et inadapté aux circonstances. Elle conclut à un usage disproportionné de la force.
  • Enfin, après la chute, les agents de police ont retourné le t-shirt ensanglanté du restaurateur sur son visage. La Défenseure des droits constate qu’il s’agit d’un geste dangereux pour l’intégrité physique de la personne interpellée et que le fait de l’exposer de la sorte sur la voie publique, menotté, le ventre nu et le t-shirt maculé de sang sur le visage constitue un traitement dégradant et attentatoire à la dignité humaine. Elle conclut à un manquement au devoir de discernement et de protection de la personne interpellée et de sa dignité.

La Défenseure des droits a saisi le ministre de l’Intérieur afin d’engager des poursuites disciplinaires à l’encontre de deux policiers impliqués.

Consulter la décision n°2025-064

Placement en garde à vue contre l’avis du parquet, usage de la force et atteinte à la dignité lors d’une interpellation

Un homme a été interpellé par les gendarmes devant son domicile. L’officier de police judiciaire le place en garde à vue malgré un avis contraire de la procureure de la République. Les gendarmes font usage de la force pour l’interpeller et le conduisent menotté à un cabinet médical au moyen d’une chaîne de conduite (chaîne métallique reliée aux menottes permettant à l’agent de tenir la personne interpellée).

La Défenseure des droits rappelle que le placement en garde à vue est un pouvoir des officiers de police judiciaire qui s’exerce sous la direction et le contrôle du procureur de la République. Elle conclut à un manquement du devoir de discernement et de respect des règles du code de procédure pénale par le gendarme.

Dès lors que la procureure de la République s’était expressément opposée à la garde à vue, le gendarme n’aurait pas dû procéder à l’interpellation et n’aurait donc pas eu besoin de faire usage de la force. La Défenseure des droits relève un manquement aux respect des règles du code de procédure pénale, au principe de loyauté envers l’autorité judiciaire, un usage de la force injustifié et un manquement au devoir de discernement du gendarme.

À la lumière de l’instruction, l’utilisation des menottes semble inappropriée en l’absence de risque de fuite ou de dangerosité de la personne interpellée. A fortiori, la Défenseure des droits considère que l’utilisation d’une chaîne apposée sur les menottes pour réaliser l’escorte vers cabinet médical est disproportionnée et attentatoire à la dignité de la personne interpellée.

La Défenseure des droits a saisi le ministre de l’Intérieur afin que des poursuites disciplinaires soient engagées à l’encontre de trois militaires de la gendarmerie.

Consulter la décision n°2025-065

Maintien de l’ordre et liberté de manifester

Emploi de la force et de gaz lacrymogènes pour disperser une manifestation pacifique

Des manifestants ont été dispersés au moyen de gaz lacrymogènes dans les minutes qui ont suivi le début de leur manifestation pacifique.
La Défenseure des droits considère que si l’entrave à la circulation est établie, le risque de trouble à l’ordre public ne l’est pas et que le rassemblement n’a pas outrepassé la « simple gêne occasionnée par toute manifestation sur la voie publique », que les autorités se doivent de tolérer, tel que le prescrit la Cour européenne des droits de l’homme. La Défenseure des droits considère ainsi que la décision de disperser les manifestants de manière rapide et brutale n’a pas respecté un juste équilibre entre les intérêts en présence, la liberté de manifester d’un côté et l’atteinte à la circulation de l’autre et porte ainsi atteinte à la liberté de réunion et d’expression.

De plus, les agents ont fait un usage répété de gaz lacrymogène par multiples jets, de plusieurs secondes, orientés directement vers le visage de ces derniers, pour certains à une distance de moins d’un mètre, et en trainant au sol sur plusieurs mètres certains de ces mêmes manifestants qui ne représentaient pas une menace. La Défenseure des droits considère qu’en procédant de la sorte, ils n’ont pas respecté le cadre d’emploi des diffuseurs lacrymogènes et ont fait un usage disproportionné de la force.

La Défenseure des droits conclut à un manque de discernement de l’ensemble de la chaîne hiérarchique en donnant pour instructions de procéder à la dispersion de la manifestation, puis de faire usage de la force face à l’inertie de manifestants pacifiques.

Elle recommande au ministre de l'Intérieur de rappeler aux responsables de l’opération les obligations en matière de discernement et les dispositions du schéma national du maintien de l’ordre notamment concernant « l’exercice de la liberté d’expression et de communication, dont découle le droit d’expression collective des idées et des opinions, [qui] est une condition première de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. »

Consulter la décision n°2025-066

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