Publication du 16e baromètre sur les discriminations dans l’emploi

14 décembre 2023

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Ce jeudi 8 décembre, le Défenseur des droits et l’Organisation Internationale du Travail publient le 16e baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi. Cette enquête, qui dresse un panorama des discriminations dans l’emploi, privé et public, interroge un échantillon représentatif de la population active. L’édition 2023 est consacrée aux discriminations envers les personnes atteintes de maladie chronique.

En constante augmentation, les maladies chroniques sont aujourd’hui devenues un enjeu majeur de santé au travail. Alors que la part de la population active atteinte d’une maladie chronique était estimée en 2019 à 15 %, elle devrait atteindre 25 % dès 2025, selon l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail. La maladie chronique peut être définie, selon l’Organisation mondiale de la santé, comme une affection de longue durée, souvent associée à une invalidité ou à la menace de complications graves, qui évolue lentement et nécessite une prise en charge pendant plusieurs années. Elle regroupe différents types de maladies comme le diabète, les cancers, le VIH, la dépression chronique, l’endométriose ou encore les maladies cardio-vasculaires. 

Les malades chroniques trop souvent stigmatisés et discriminés au travail

L’enquête montre qu’environ une personne sur six atteintes de maladie chronique (13 %) a été confrontée dans le cadre de l’emploi à une discrimination ou un harcèlement discriminatoire en raison de son état de santé ou de son handicap, contre 3 % pour le reste de la population active. Les personnes ayant une maladie visible ont trois fois plus de risques d’avoir été confrontées à une discrimination ou un harcèlement discriminatoire. De plus, 55 % des personnes malades déclarent avoir vécu une situation de harcèlement moral dans l’emploi.

La maladie chronique reconnue comme un handicap

En France, depuis la loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la maladie chronique est reconnue comme un handicap. Ainsi, les personnes atteintes d’une maladie chronique peuvent bénéficier de la protection juridique offerte aux personnes en situation de handicap contre toutes formes de discrimination. Or, seule une minorité de personnes font les démarches pour obtenir une reconnaissance administrative de la qualité de travailleur handicapé (RQTH).

Les obligations des employeurs

Tous les employeurs, privés comme publics, sont tenus à une obligation « d’aménagement raisonnable » à l’égard des travailleurs en situation de handicap, et donc des travailleurs atteints de maladie chronique. Cela signifie que tout employeur doit prendre les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs concernés d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification. La CIDPH précise que le refus d’aménagement raisonnable peut être considéré comme une discrimination à l’encontre d’un travailleur malade chronique ou handicapé. Or, d’après l’enquête, 29% des salariés atteints d’une maladie chronique ne bénéficie pas d’un aménagement alors qu’ils en auraient besoin, et dans près d’un tiers des cas, l’employeur ne suit pas les préconisations de la médecine du travail.

Les discriminations dans l’emploi arrivent rarement seules et s’accompagnent souvent de situations de dévalorisation : remarques ou « blagues » déplacées, sous-occupation, attribution de travail inutile ou sans lien avec les compétences de la personne, dévalorisation injuste du travail, remise en cause de la maladie ou du handicap… Pour mener à bien sa démarche de prévention, l’employeur doit s’appuyer sur un ensemble d’acteurs parmi lesquels la médecine du travail, qui se trouve au centre du dialogue entre l’organisation et le salarié malade. Cependant, l’enquête montre que 47 % des personnes actives malades ont déclaré hésiter à livrer des informations à leur médecin du travail, car ils ne le connaissent pas et ne l’ont pas choisi. Malgré les craintes, les préconisations de la médecine du travail sont généralement bien accueillies par les salariés concernés : 78 % d’entre eux approuvent les recommandations formulées par le médecin.

Les résultats de l’étude appellent donc les acteurs du secteur à se mobiliser. La Défenseure des droits recommande aux pouvoirs publics d’encourager les employeurs, privés comme publics, à mener régulièrement des campagnes internes de sensibilisation et de formation. Elle recommande également de renforcer les dispositions légales en matière de lutte contre les discriminations, et notamment à modifier la définition de la discrimination fondée sur le handicap afin d’y inscrire l’obligation d’aménagement raisonnable dans tous les domaines et secteurs concernés. 
 

- Claire Hédon : Bonjour à toutes et à tous, je vous propose qu’on démarre. On a pris quelques minutes de retard pour laisser les personnes arriver. Je suis très heureuse d’intervenir pour cette 16e édition du baromètre contre les discriminations dans l’emploi, consacré aux discriminations concernant l’état de santé, notamment pour les personnes atteintes de maladies chroniques. Merci à toutes les personnes qui ont contribué à ce baromètre, Cyril Cosme et l’Organisation internationale du travail, avec qui nous coopérons et menons une coopération fructueuse depuis plus de dix ans. Je voudrais aussi adresser mes remerciements aux intervenants de cette matinée qui représentent le monde de la recherche, le monde associatif, les partenaires sociaux, l’entreprise, la médecine du travail, dont on va voir qu’elle est centrale, les pouvoirs publics, ainsi qu’aux agents de l’institution qui ont suivi de près ce baromètre, je pense à Sarah Benichou, Martin Clément et Emilie Bourgeat, et d’ailleurs, Emilie Bourgeat vous le présentera tout à l’heure.
Mais également merci à vous toutes et tous d’être là parce que vous êtes fidèles à ce rendez-vous et vous savez à quel point c’est important pour nous parce que ce baromètre contribue à l’état des savoirs sur les maladies chroniques et les discriminations auxquelles font face les salariés concernés. En mettant cet enjeu de santé au travail au cœur de notre baromètre, il s’agit d’inviter l’ensemble des parties prenantes à réfléchir aux modalités possibles et nécessaires à sa meilleure prise en charge. En 2025, la part de la population active atteinte d’une maladie chronique devrait atteindre, selon l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, 25%, autrement dit, un salarié sur quatre. Cet essor des maladies chroniques est notamment lié aux progrès thérapeutiques qui ont pu contribuer à transformer certaines maladies autrefois aiguës et mortelles en maladies chroniques . D’autres facteurs risquent également d’augmenter cette tendance. Mais c’est une question qui reste très largement inexplorée. Les représentations sociales négatives liées à la maladie, souvent perçue comme incompatible avec le travail, l’invisibilité des symptômes, et la peur d’être exposé aux discriminations, alimentent un déni collectif sur un sujet pourtant capital de santé au travail. Les pathologies chroniques prennent des formes très diverses, maladies cardiovasculaire, diabète, cancer, sclérose en plaques, sida, maladies psychiques, et se caractérisent par une évolution lente et une prise en charge pendant plusieurs années. Elles sont souvent associées à une invalidité, à la menace de complications graves ou à des répercussions sur la vie quotidienne et notamment sur la vie professionnelle. En France, depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, et aussi en référence à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Convention internationale des droits des personnes handicapées, la maladie chronique est expressément reconnue comme un handicap.
Le fait de travailler avec une maladie chronique soulève des enjeux majeurs pour les entreprises et les administrations, que ce soit d’ailleurs en matière d’égalité professionnelle et aussi en matière de maintien dans l’emploi, et les effets de la maladie, la prise de traitements, la fatigue, les difficultés de concentration, les limitations physiques, les arrêts maladie, et le caractère parfois imprévisible des symptômes peuvent perturber les processus et les équipes de travail. Les différents acteurs de l’entreprise, que ce soit la direction, les ressources humaines, les managers de proximité, les représentants du personnel et aussi les collègues, sont souvent peu outillés finalement pour gérer ces situations, et ça peut rapidement générer des tensions, des déséquilibres dans le collectif de travail notamment du fait du report de la charge de travail sur d’autres collègues. Pour les salariés malades, au-delà de l’épreuve de la maladie, ils sont davantage exposés dans l’emploi à un risque de stigmatisation, d’isolement, de discrimination et de déclassement professionnel. Les réclamations adressées au Défenseur des Droits liées à l’état de santé et au handicap corroborent les résultats de cette étude, les personnes en situation de handicap, parmi lesquelles les personnes atteintes de maladies chroniques, sont particulièrement touchées par les discriminations à l’embauche et dans la carrière.
Je voulais vous donner deux chiffres concernant le baromètre : une personne sur six atteinte de maladie chronique a été confrontée dans le cadre professionnel à une discrimination ou à un harcèlement discriminatoire en raison de son état de santé ou de son handicap. Et, parmi elles, les personnes ayant une maladie visible sont trois fois plus exposées à ce risque.
Et le deuxième chiffre qui est assez impressionnant, c’est que quatre personnes actives sur dix atteintes d’une maladie chronique disent avoir été victimes de discrimination, et ce chiffre, c’est 2 fois plus que la population générale. En 2022, au sein des réclamations qui nous sont adressées, au Défenseur des Droits, pour discrimination, 20% des saisines étaient relatives au motif du handicap, 11% à celui de l’état de santé. Ces dernières concernent principalement le domaine de l’emploi. Par ailleurs, depuis le lancement de la plateforme antidiscriminations.fr avec le numéro de téléphone 39 28, le handicap et l’état de santé représentent 24 et 11% respectivement des appels pour discrimination sur notre numéro.
Et, vraiment, ce dont on a conscience, c’est l’écart entre la réalité des discriminations et ce qui arrive en termes de réclamation dans l’institution, et c’est valable pour tous les critères de discrimination, dans tous les domaines.
Quelles formes de discriminations subissent les personnes atteintes de maladies chroniques dans l’emploi ? Quels sont les recours engagés par les victimes ? Comment les personnes actives atteinte des maladie chronique composent-elles avec la maladie ? Quelles en sont les conséquences concrètes au travail, en matière de déroulement de carrière, de relation avec les collègues ou la hiérarchie ? En lien avec la médecine de travail, de quels aménagements ont-elles bénéficié ou non ? Comment les organisations prennent-elles en compte ces personnes dont la santé est fragilisée ? Le non-respect des obligations légales en matière d’emploi des personnes atteintes de maladie chronique et/ou reconnues comme handicapées reste une tendance forte : refus d’aménagement du poste de travail par l’employeur, méconnaissance de son obligation de sécurité, absence de mise en œuvre des préconisations du médecin du travail. Ces situations aboutissent trop souvent à des licenciements pour inaptitude, à une mise en retrait progressive du monde du travail, alors qu’en fait, des solutions de reclassement ou de réorientation professionnelle auraient pu et dues être proposées. Un tiers des personnes atteintes de cancer perd ainsi son emploi dans les deux ans suivant la déclaration de leur maladie.
Les personnes avec des troubles de santé ou en situation de handicap parviennent plus difficilement à trouver un emploi et à s’y maintenir. Leur taux de chômage est deux fois supérieur d’ailleurs à celui de l’ensemble de la population active âgée de 15 à 64 ans et une personne sur cinq ne travaille plus dans les cinq ans qui suivent le diagnostic.
L’anticipation des discriminations va par ailleurs conduire de nombreux salariés malades à mettre en place des stratégies pour finalement dissimuler leur état de santé dans le cadre professionnel et du coup compenser leurs difficultés éventuelles par un surinvestissement dans leur travail, au détriment de leur propre santé. Face à l’ampleur de ces discriminations, les pouvoirs publics, ainsi que les employeurs, ont une responsabilité centrale à la fois dans l’accès et le maintien dans l’emploi des personnes dont la santé est durement fragilisée. Si les dispositions légales en matière de lutte contre les discriminations fondées sur l’état de santé ou le handicap et leur effectivité doivent également être renforcées, promouvoir une approche globale de la santé au travail est absolument essentiel.
Sur ce point, je rappelle que tous les employeurs publics et privés, quel que soit leur effectif, sont légalement soumis à une obligation d’aménagement raisonnable à l’égard des travailleurs handicapés.
Cela signifie qu’ils sont tenus de prendre des mesures appropriées pour permettre aux travailleurs handicapés d’exercer à l’emploi, d’y progresser. Le refus de l’employeur de prendre de telles mesures constitue une discrimination sauf s’il démontre qu’elles représentent une charge disproportionnée. Les dispositifs concourant à l’accès et au maintien dans l'emploi des personnes doivent être mises en place, avec également la formation des personnels, le renforcement du dialogue social entre les parties prenantes. Les moyens dédiés aux acteurs clés de la prévention au travail, de la lutte contre les discriminations, la médecine du travail, les représentants du personnel, les syndicats, les référents handicap, l’inspection du travail, doivent aussi être considérablement renforcés afin notamment d’assurer une meilleure information des salariés et des agents de leurs droits aux recours. Au-delà des recommandations que je rappelle dans ce baromètre, je formule le vœu que cet événement de présentation des résultats sera l’occasion de réfléchir collectivement à l’ensemble des leviers qui doivent être mobilisés pour lutter contre la désinsertion professionnelle et les discriminations en raison de l’état de santé. Et avant qu’Emilie Bourgeat vous présente les résultats de notre enquête, je laisse la parole à Cyril Cosme, qui est le directeur du bureau de l’OIT pour la France. Je vous remercie de votre attention.

- Cyril Cosme : Bonjour et merci, chère Claire Hédon, pour votre accueil, une fois encore. Et merci à vous tous de nous avoir rejoints pour cette présentation de cette nouvelle édition du baromètre des discriminations dans l’emploi. Je voudrais remercier d’abord la Défenseure des droits et aussi ses équipes, avec une mention particulière pour Martin Clément et Emilie Bourgeat, pour leur travail, pour leur engagement et leur attachement aussi au partenariat que nous avons. C’est en effet très important pour une organisation comme l’OIT d’avoir de tels relais au niveau de nos Etats-membres pour concrétiser et mettre en œuvre les principes et les droits fondamentaux que nous portons au plan international, au premier rang desquels bien évidemment figure l’interdiction des discriminations professionnelles.
Comme vous l’avez dit, Claire, cette année, le baromètre cherche à documenter une dimension émergente et trop souvent méconnue des discriminations, en tout cas du point de vue de l’OIT, c’est-à-dire la situation de ces femmes et de ces hommes au travail atteints de maladie chronique.
Autant, la discrimination selon le handicap est bien identifiée, autant la question des maladies chroniques est encore relativement peu explorée au plan international, et je voudrais faire, avant la présentation des résultats, quelques remarques à cet égard. D’abord pour souligner que, sur un plan strictement juridique, ce n’est pas parce que l’état de santé n’est pas explicitement mentionné dans le texte des conventions de l’OIT sur la question des discriminations, en particulier la convention 111, que nous sommes en présence d’un vide légal au plan international. L’énoncé des motifs dans cette convention n’est pas limitatif. L’interdiction des discriminations a une portée générale et elle s’applique à toutes les situations objectives de discrimination, et par ailleurs, les discriminations dont viennent à souffrir les patients atteints de maladie chronique peuvent aussi être rattachées aux discriminations selon le handicap, qui font, quant à elles, l’objet de normes internationales bien précises, qu’il s’agisse des conventions de l’OIT ou qu’il s’agisse de la convention des Nations unies que vous avez citée.
Ma deuxième remarque pour souligner que la question de ces patients et de leur rapport au travail est aussi, je crois, le reflet d’une imbrication croissante des problématiques de santé au travail et de santé publique. Longtemps cloisonnés, ces deux champs de la santé tendent ces dernières années à se rapprocher, et c’est, je crois, une évolution très positive, c’est vrai dans un pays comme la France où ce cloisonnement était peut-être plus marqué qu’ailleurs, sans doute le résultat de l’histoire de nos institutions sociales, mais c’est aussi le cas sur le plan international, où les deux organisations des Nations unies implantées, pour ceux qui connaissent, sur la Colline, à Genève, l’OIT, l’Organisation internationale du travail et l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé, côte à côte, se sont longtemps regardées en chien de faïence. Les politiques de santé au travail et de prévention doivent se préoccuper de l’état de santé des travailleurs, tout simplement parce que les patients et les travailleurs sont souvent les mêmes personnes. Aujourd’hui, les collaborations entre l’OIT et l’OMS sont beaucoup plus nombreuses, cela a commencé avec le Sida avec plusieurs travaux conjoints menés sur ce sujet et l’OIT a traité de la question des malades du Sida et de leur place dans le monde du travail, y compris sous l’angle de la discrimination. Au-delà du Sida, les deux organisations se sont aussi rapprochées sur la définition même de la santé qui se réfère à un état de bien-être général. Dans cette conception, le travail n’est plus uniquement appréhendé comme une source de risque pour la santé, mais comme un facteur susceptible d’être positif pour la santé.
Disant cela, je pense à la belle formule d’Yves Clot : pour éviter de soigner les travailleurs, il faut soigner le travail. C’est particulièrement prégnant à l’heure où les pathologies psychosociales et mentales au travail sont prévalentes.
Cette nouvelle édition du baromètre répond à plusieurs enjeux importants que vous avez mentionnés, Claire Hédon, je veux insister sur quelques-uns d’entre eux : d’abord, la nécessité de former et de sensibiliser les acteurs du monde du travail à la situation de ces travailleurs, y compris les partenaires sociaux, qui sont représentés dans la salle et que je salue ; l’importance aussi de rappeler le rôle de la médecine du travail, des services de prévention et de santé au travail dans le maintien dans l’emploi ou sur le marché du travail, à travers l’aménagement de poste ou la reconversion ; l’importance également de rappeler le rôle des représentants du personnel et des syndicats comme de l’inspection du travail, vers qui les travailleurs peuvent se tourner en cas de discrimination liée à l’état de santé ou d’un handicap. Et, enfin, l’importance de rappeler l’enjeu de développer des emplois de qualité dans le secteur du soin à toutes les personnes atteintes de maladie chronique ou de handicap, l’OIT a produit en ce domaine de nombreux travaux qui indiquent tous que le secteur du soin au sens large constitue, au niveau mondial, le premier gisement de création d’emplois dans les années à venir, et de loin, à mettre en relation avec le vieillissement démographique qui est aujourd’hui un phénomène global, qui ne concerne plus que l’Europe ou l’Amérique du Nord, donc, un secteur dans lequel il convient d’investir massivement. Merci de votre attention. Laissons maintenant la place aux résultats.

- Emilie Bourgeat : Bonjour à toutes et à tous. Je voulais commencer par présenter, je pense que vous avez déjà vu les dessins projetés à l’écran, on a Lisa Mandel avec nous, autrice de bande dessinée, qui rebondira sur ce que l’on dit.
Une vidéo d’une web TV régionale de Dijon va vous être projetée qui livre un témoignage sur le fait de travailler avec un diabète.

Alors, je vais vous présenter maintenant les résultats de ce 16e baromètre. Cette 16e édition est consacrée aux critères de l’état de santé et plus particulièrement aux discriminations vécues par les personnes atteintes de maladie chronique. La maladie chronique constitue souvent, pour les personnes concernées, une épreuve qui vient bouleverser la confiance en soi, en son corps, en ses capacités, sa relation au travail, sa manière de vivre et de se projeter dans l’avenir. Dans l’emploi, elle va se traduire souvent par une mise en retrait ou une exclusion du marché du travail et par des parcours marqués par des aménagements, des réorientations, des ruptures professionnelles. Cette étude vise à mieux comprendre les difficultés et discriminations vécues par ces personnes et à mieux en appréhender les enjeux. Il y a les discriminations spécifiques liées à l’état de santé, au handicap, et leurs conséquences professionnelles, psychologiques, sociales, et puis, elle interroge de façon plus générale le rôle des acteurs de l’organisation et plus particulièrement des services de prévention et de santé au travail ainsi que les responsabilités et obligations des employeurs. Pour revenir rapidement sur le protocole de collecte, l’enquête a été réalisée par l’institut Ipsos du 24 mars au 25 avril 2023 par Internet auprès d’un échantillon représentatif de 3000 individus, de 16 à 64 ans. Dans cette enquête ont été considérées comme malade les personnes ayant déclarée une maladie chronique ou durable ou des limitations fonctionnelles, d’au moins six mois, au cours des cinq dernières années. Au-delà de cette étude, des témoignages ont été récoltés pour recueillir la parole des répondants et illustrer la diversité des situations. Il y a cinq entretiens qualitatifs qui ont été menés par l’institut Ipsos et une question ouverte a été laissée dans le questionnaire pour laisser chacun revenir plus longuement sur une expérience de discrimination.
Je vous renvoie rapidement au baromètre pour les témoignages et les graphiques qui seront plus facilement accessibles dans la version imprimée ou en ligne.
Premier résultat : comme ça a été dit, les malades chroniques sont trop souvent discriminés au travail. Une personne sur six ayant une maladie chronique déclare avoir vécu une discrimination au travail. Parmi elles, celles ayant une maladie chronique visible sont trois fois plus exposées. Les discriminations vécues sont aussi corrélées au contexte de travail et d’emploi. Par exemple, toutes choses égales par ailleurs, la pénibilité du métier effectué augmente le risque d’être exposé à une discrimination en raison de l’état de santé. De façon plus générale, le fait d’avoir une maladie chronique est un facteur majeur aggravant le risque d’être exposé à une discrimination dans l’emploi, tous critères confondus. 43% des salariés malades déclarent avoir vécu au moins une situation de discrimination dans l’emploi contre 20% pour le reste de la population active, soit une fréquence deux fois plus importante. Qu’ils se disent discriminés ou non, les salariés malades sont surexposés aussi harcèlement malade, à des propos stigmatisantes et à des attentes illicites dans l’emploi. Ainsi, une personne sur six environ ayant une maladie chronique déclare qu’on lui a déjà fait comprendre lors d’un entretien qu’elle devrait cacher ses problèmes de santé au travail. Les discriminations vécues par les salariés malades surviennent dans différents contextes professionnels, et notamment dans le travail au quotidien, mais aussi lors du retour d’un congé maladie, à l’occasion d’une demande d’évolution de carrière ou d’une demande d’aménagement de poste. S’agissant des auteurs de la discrimination subie, les personnes malades identifient à la fois la direction de l’organisme pour 51% d’entre elles, leur supérieur hiérarchique, 43%, mais aussi leurs collègues de travail, sans de différence statistique significative par rapport au reste de la population active. En matière de recours au droit, de la même façon, on n’observe aucune différence statistique par rapport au reste de la population active. Près des trois quarts des malades entreprennent des démarches à la suite des faits mais la plupart en parlent à des collègues ou à des proches. Une proportion significative alerte les syndicats, les représentants du personnel, la médecine du travail ou leur médecin traitant ou psychologue. On remarque que les actifs malades discriminés se tournent significativement plus vers la médecine du travail, le référent handicap et l’inspection du travail. Près d’un quart n’ont rien dit à la suite des faits. Ce non-recours s’explique notamment par le fait que les victimes pensaient que cela n’aurait rien changé, avaient peur des représailles, ne savaient pas quoi faire ou ne savaient pas qu’il s’agissait d’une discrimination à l’époque.
Ces personnes sont surtout confrontées au dilemme de révéler ou non leur maladie au travail. Plusieurs études l’on indiqué, les malades chroniques font régulièrement part de leur difficulté de choisir entre le désir de se confier ou d’informer la hiérarchie pour avoir un accompagnement spécifique, et d’autre part la crainte de s’exposer à des attitudes stigmatisantes ou à des discriminations.
Dans l’enquête, la grande majorité des malades déclarent que leurs problèmes de santé sont connus de leurs collègues. Par contre, seulement la moitié des salariés ont informé leur employeur ou supérieur hiérarchique de leur état de santé, et parmi ceux qui ne l’ont pas fait, 40% ont déclaré avoir peur des répercussions négatives ou d’un changement d’attitude de la part de leur entourage professionnel. Effectivement, ces répercussions sont majeures et souvent délétères. 70% des actifs malades déclarent que leur état de santé a eu des répercussions sur leur vie professionnelle, dont la plupart sont susceptibles, en droit, d’être constitutives d’une discrimination, licenciement, refus d’aménagement, etc.
Par ailleurs, lorsqu’ils sont en emploi, de nombreux malades chroniques mettent en place des stratégies pour cacher leur maladie et souvent aux dépens de leur propre santé physique et mentale. Dans l’étude, près de la moitié des malades choisissent de travailler parfois ou souvent contre l’avis de leur médecin, principalement par peur de perdre des jours de salaire, par conscience professionnelle ou par peur d’un jugement ou de représailles. La discrimination et le harcèlement discriminatoire ont également des répercussions durables et importantes sur la santé mentale des personnes qui en sont victimes. 73% des malades chroniques ayant vécu une discrimination rapportent avoir traversé une période où leur santé s’est dégradée.
Il peut exister une peur de perdre son emploi. Un tiers des personnes ne pensent pas que leur état de santé leur permettra d’exercer le même poste d’ici deux ans. On s’est intéressé ensuite au rôle de la médecine du travail, qui se trouve donc au centre du dialogue entre l’entreprise et les salariés et qui joue un rôle clé. De nombreux rapports l’ont montré : la pénurie du personnel médical et le manque de moyens ne permettent pas à la médecine du travail d’assurer un suivi des salariés, et ces difficultés ne sont pas sans conséquence sur l’accompagnement des employeurs et salariés en matière de santé au travail. Plusieurs chiffres : les actions de prévention et d’information auprès des salariés semblent lacunaires. Seulement la moitié des malades chroniques connaissent plutôt bien ou très bien les bons gestes et mesures de prévention au travail, les informations liées à la santé au travail et les risques auxquels ils sont exposés dans leur emploi. Les résultats témoignent d’un accès encore très insuffisant à la médecine du travail. Malgré son caractère obligatoire, un tiers environ des salariés malades ayant eu un arrêt de plus de 60 jours ces dernières années n’ont pas eu de visite de pré-reprise, en particulier les femmes et salariés des petites organisations, et enfin, la médecine du travail est perçue parfois comme médecine du contrôle puisqu’elle doit déterminer la capacité des salariés à travailler, et du coup, elle peut susciter une vive appréhension. La moitié des salariés ont déclaré hésiter à livrer des informations à leur médecin du travail, ils avaient parfois peur que ça ait des répercussions négatives sur leur travail.
Enfin, on s’est intéressé au rôle des employeurs et du collectif de travail dans la gestion de la maladie chronique et dans le maintien dans l’emploi. L’employeur, vous le savez, est le garant de la démarche de prévention et de santé au travail. Il est de son devoir de mettre en œuvre des aménagements concrets permettant à une personne ayant une maladie chronique ou une situation de handicap d’eâtre égalité des autres à tout moment. Tous les employeurs sont tenus à une obligation d’aménagement raisonnable, le refus de l’employeur de prendre une telle mesure constitue une discrimination, sauf s’il démontre qu’elle représente une charge disproportionnée. L’employeur doit respecter les préconisations du médecin du travail. Pourtant, d’après les résultats de l’enquête, près d’un tiers des enquêtés environ, pour près d’un tiers d’entre eux, l’employeur n’a pas suivi ou seulement partiellement les préconisations du médecin du travail, manquant ainsi à leur obligation de sécurité. Pourtant, l’aménagement du poste constitue un défi majeur pour les organisations, puisqu’elle concerne près d’un salarié sur deux. 19% en bénéficient et 29% n’en bénéficie pas mais en aurait besoin dans l’enquête. Certains salariés sont moins susceptibles d’en bénéficier : ceux notamment qui ont un travail pénible ou une faible ancienneté dans l’organisation. Ceux qui bénéficient d’une reconnaissance administrative du handicap ou dont les problèmes de santé sont connus du médecin du travail sont davantage susceptibles de bénéficier d’un aménagement de poste. Au-delà de ces obligations légales, la gestion de la maladie chronique dans le monde professionnel interroge l’organisation collective et concrète du travail plus largement. L’encadrement direct joue un rôle capital, de nombreuses études l’ont montré, notamment dans ce travail de composition entre répercussions de la maladie chronique sur le collectif de travail éventuelles, et aussi la prise en considération des effets de la maladie sur les salariés concernés. La qualité des rapports entre la hiérarchie et le salarié malade est donc déterminante, notamment après un long arrêt maladie. Pourtant, dans l’enquête, 40% des salariés malades dont les problèmes de santé sont connus de l’employeur ne bénéficient ni du soutien, ni de la compréhension de leur supérieur hiérarchique ou de leur employeur, la moitié déclare pourtant en avoir besoin. Le travail et la prévention sont souvent organisés dans une logique individuelle, sans réflexion globale et collective et surtout sans que les salariés soient nécessairement consultés. La maladie et le handicap peuvent se traduire par des rapports ambivalents entre collègues. 84% des salariés dont les problèmes de santé sont connus de leurs collègues ont déclaré avoir bénéficié de soutien de leur collègue, mais le report de la charge de travail peut susciter de fortes tensions dans un service, qui peuvent aussi s’expliquer par la persistance de préjugés dont l’intention et l’expression vont varier selon la nature de la pathologie. Une personne active sur cinq déclare qu’elle serait très mal à l’aise si un de ses collègues était affecté par un handicap mental ou psychique, 15% s’il avait un cancer et 14% s’il était porteur du VIH. Ces résultats soulignent donc la nécessité pour les pouvoirs publics et l’ensemble des acteurs de l’entreprise et administrations de s’engager pleinement dans la lutte contre les discriminations liées à l’état de santé ou au handicap et de répondre à cette urgence en développant une approche globale et collective de la prévention de la santé dans l’emploi. Cette journée sera donc l’occasion ensemble d’en discuter, notamment en évoquant les leviers d’action pour permettre une réelle prise en compte des maladies chroniques dans l’emploi. Merci de votre écoute.
Juste avant de diffuser une autre vidéo, je voulais remercier les personnes qui ont contribué à la réalisation de ce baromètre, Frédérique Dupuy et Cyril Cosme de l’OIT et l’équipe de la promotion de l’égalité et de l’accès aux droits du Défenseur des Droits, notamment la personne qui a réalisé les analyses statistiques, la coordination de la réalisation du questionnaire, Martin Clément et Sarah Benichou et Florence Marchal et, dans la direction de la communication, les trois personnes qui ont assuré les relectures, le maquettage et l’organisation de cet événement.
Avant la prochaine intervention, on va diffuser une petite vidéo sur un témoignage sur le fait de travailler avec une sclérose en plaques.

Je vais appeler au pupitre Dominique Baradat, experte maladies chroniques évolutives et travail au cabinet DB Conseils.

- Dominique Baradat : Bonjour à tous. Avant de commencer, je vais remercier également le Défenseur des Droits et toute l’équipe, en particulier Emilie, et aussi les remercier pour le travail qu’ils ont réalisé, parce que je trouve ça vraiment très intéressant. J’ai travaillé pendant trente-cinq ans dans le réseau ANACT ARACT, et c’est à ce moment-là qu’effectivement, en 2005, je me suis intéressée à la question des maladies chroniques et du travail. 2005 pourquoi ? Parce que, à l’époque, il y avait des projets qui émergeaient sur la discrimination, la non-discrimination, des projets européens, et j’ai eu l’occasion de rencontrer des associations comme Aides et la Ligue contre le cancer, et quand ils m’ont expliqué ce qu’éprouvaient les personnes atteintes de VIH et de cancer dans le travail, je me suis dit : tiens, c’est bizarre, ça fait vingt ans que j’interviens dans les entreprises et je n’en ai jamais entendu parler. Je me suis dit, quand même, c’est un peu curieux comme histoire. Donc, on a mis en place un gros comité de pilotage avec plein de partenaires qui sont ici présents, qui nous ont accompagnés financièrement et opérationnellement, bien sûr les services de santé, l’AGEFIPH, le FIPHFP, la CARSAT, etc., toutes les associations, y compris associations (Im)Patients, Chroniques et associés, et nous avons monté un projet dans le cadre de ce projet européen avec l’idée, peut-être un peu différente de ce qu’on vient de voir, que, peut-être, c’étaient les organisations du travail qui étaient discriminantes. On s’est dit : voyons, si on part avec cet angle d’attaque, ce que ça va faire à la sortie. On a posé trois postulats, qu’on allait s’intéresser aux pathologies du point de vue de l’impact, beaucoup de choses viennent d’être dites, je crois que toutes les choses que je voulais raconter ont été déjà exprimées, mais je vais le redire, on s’est interrogé, on a fait une quinzaine de pathologies qu’on a analysées du point de vue du travail et on s’est rendu compte que, si on les prenait du côté du travail, les impacts étaient similaires, c’est-à-dire quelle que soit la pathologie que pouvaient avoir les salariés ou les agents, l’impact dans le travail allait être similaire. On va retrouver ce qui a été dit tout à l’heure : la fatigabilité, c’est le problème essentiel des pathologies, c’est-à-dire comment je vais supporter ma fatigue pendant que je suis en train de travailler ? Quelle organisation va me permettre d’être fatigué ? Sachant quand même que vous n’êtes pas sans savoir que la fatigue dans le travail renvoie plutôt à quelqu’un qui ne travaille pas bien ou qui a fait la fête la veille, mais rarement la question de la fatigue s’interroge du point de vue des maladies. Le deuxième point important, il y a d’autres choses qui ont été faites, mais c’est comment je vais pouvoir gérer mon traitement ou l’effet de mon traitement pendant que je travaille. Ça paraît… on se dit, finalement, si j’ai un traitement à prendre, je m’isole… Non, ça ne marche pas comme ça.
Parce que, quand on a des effets secondaires, notamment des troubles digestifs, comment on fait pour quitter son poste quand on est à l’accueil d’une banque ou quand on est dans un atelier où les pauses sont imposées ? Comment je fais ? J’ai toujours l’idée d’une personne qui était dans un supermarché, une hôtesse de caisse, dans un petit supermarché, qui me disait : moi, mon problème, c’est que… Des aménagements avaient été réalisés par les partenaires, tout allait bien, sauf que cette personne était encore absente, donc, l’employeur disait : je ne comprends pas, on a investi dans cette caisse, ça ne marche pas ! Je suis allée voir cette dame avec son autorisation pendant qu’elle était malade, et elle a éclaté en sanglots en me disant : j’ai des problèmes d’incontinence avec ma maladie, et quand je suis en caisse, je ne peux pas en sortir pour aller aux toilettes. Donc, là, j’étais quand même un peu abasourdie. Pendant vingt ans, on a vu ça régulièrement. En gros, un tiers des absences des personnes ayant une maladie chronique est lié à l’organisation qui ne leur permet pas tout simplement de sortir du travail pour effectivement aller aux toilettes, boire de l’eau, etc. Pour finir l’histoire, je ne vais pas vous laisser en attente, nous sommes revenus non pas pour dire que la personne était incontinente mais pour dire simplement que cette personne ne serait plus jamais absente si elle avait la possibilité de sortir des caisses. Il était hors de question de stigmatiser cette personne, donc, il y avait cette caisse, dans ce petit supermarché, en une demi-heure, l’employeur a trouvé une solution organisationnelle permettant à l’ensemble des caisses de sortir à n’importe quel moment en mettant une équipe volante, etc. Une demi-heure. Et effectivement, avec aucun financement. Tout ça pour dire que certaines choses aujourd’hui, quand on prend ces pathologies du point de vue du travail, je pense qu’il y a vraiment des choses à faire sur l’organisation et essayer d’y mettre de la souplesse.
La troisième chose, c’était la coordination des acteurs. On va probablement en parler toute la matinée, on vient d’en parler aussi. On a observé, en gros, 20-25 acteurs qui peuvent intervenir sur quelqu’un qui est atteint d’une maladie chronique, tant dans la sphère privée que professionnelle, on a appelé cela… excusez-moi aux médecins du travail… la ronde des médecins : le médecin hospitalier, le généraliste, le médecin du travail, le médecin de la Sécu, etc., le kiné, l’homéopathe, etc. Tous ces gens-là, alors, ça a un peu évolué avec la loi Santé au travail, à part le médecin de la Sécurité sociale qui peut parler à tout le monde parce qu’il a les sous, potentiellement, on n’a pas trop le droit de s’appeler, même si les choses évoluent. Donc, j’ai vu quand même des actions qui étaient en contradiction avec un médecin hospitalier qui donnait un traitement, en disant : vous n’avez qu’à prendre le traitement à 10h le matin, et au médecin du travail, il dit : à 10h du matin, je suis en train d’énerver les foies gras dans l’atelier, je sais quand même ?
Notre idée a été de dire, peut-être, pour faire parler tous ces gens-là ensemble, qu’il suffirait simplement de parler du travail. Le Monsieur de la première vidéo l’illustre bien, il n’a pas parlé des pathologies mais du travail, qu’il déchargeait le camion, qu’il essayait de voir avec ses collègues, etc. Donc, on s’est dit : essayons de voir, si on part du travail, avec des situations de travail, comment on va permettre de mettre autour de la table un nombre d’acteurs considérables pour pouvoir travailler.
Pour être positive quand même, parce que je trouve que, aujourd’hui, on peut faire les choses, la pandémie a eu cet effet un peu remarquable, il faut être un peu positif dans la vie, c’est qu’elle a mis en évidence dans les entreprises les personnes qui étaient en difficulté, notamment avec des maladies chroniques puisque les vaccinations, c’étaient eux les primo-vaccinés, et puis on les a mis en retrait ou en télétravail, donc, aujourd’hui, les entreprises, les établissements savent qu’ils ont des personnes atteintes de maladie chronique, ce n’est pas possible qu’ils ne le sachent pas. Donc, pour moi, pour nous tous, préventeurs, c’est une opportunité pour aller requestionner ces employeurs et leur dire : attention, vous avez 15%… ce qui est annoncé pour 2025, c’est 25%… de la population active, essayez de mettre en place des projets stratégiques qui viennent enrichir votre projet entreprise pour faire en sorte que ce soient des projets organisationnels et collectifs. Essayons de les engager. Ceux qui se sont engagés, moi, j’ai travaillé avec des établissements publics, notamment avec le Crédit Agricole et certaines agences, j’ai aussi travaillé avec des entreprises, des grosses mairies en Aquitaine, une grosse entreprise privée que j’ai citée tout à l’heure, Delpeyrat, mais on a aussi travaillé sur des petits établissements, des petites entreprises, c’est-à-dire que ça fonctionne, il faut aller requestionner le travail et faire en sorte de remettre de la souplesse dans l’organisation de façon à permettre à des personnes qui sont dans cette situation-là de pouvoir continuer à travailler à performances égales, mais aussi, ça fait un peu ce qu’on dit sur le handicap, le fameux effet loupe, c’est-à-dire que remettre de la variabilité et de la souplesse dans les organisations va permettre à un plus grand nombre de travailler, et moi, ça a été toujours mon truc dans la tête de me dire : comment faire pour ne pas exclure des personnes et ne pas exclure des personnes qui ont des maladies chroniques ? Pour ça, quand même, il faut quelques préalables, c’est une volonté forte d’une direction, ça, on ne pourra pas passer à côté, quand même, parce que si ça ne marche pas, si on touche à l’organisation, il va falloir que les directions soient motivées pour ça, et puis on a mis en place des démarches avec des démarches classiques de conduite de projet avec d’abord des constats de l’existant, et peut-être quelque chose qui est un peu novateur aujourd’hui, avec une approche par le travail, avec une description assez fine du travail, c’est-à-dire qu’on va questionner la personne non pas sur ce qu’elle a et ce qu’elle ne peut pas faire, mais plutôt sur ce qu’elle fait, quelles sont les situations qu’elle vit et comment, après, dans le collectif, on va pouvoir répartir intelligemment ces activités à performances égales. Parce que l’histoire de dire : je ne peux plus porter le sac et puis c’est ma collègue qui va le porter, ça marche… allez… quinze jours, parce qu’on est gentil. Mais ça ne marche pas dans la durée. Ce n’est pas possible. Il faut vraiment essayer d’avoir des réflexions organisationnelles sur la répartition des charges au sein des entreprises. Dernier point : c’est intéressant d’aller revisiter l’ensemble des circuits RH car les agents, les salariés, quand on leur pose la question de « je suis malade, je vais voir qui ? », alors, là… Pourtant, les process sont écrits, ils sont soi-disant connus, mais ce n’est pas vrai, quand on interroge le salarié ou l’agent, ça varie : je vais voir le médecin du travail, je vais voir mon chef, ma collègue, le DRH, l’employeur… On assiste un peu à tout et n’importe quoi. On incite donc quand même les entreprises à revisiter ça mais du point de vue de l’agent ou du salarié, de se poser la question : « j’ai une maladie, je peux aller voir qui ? Une association ? » Essayer de faire ce travail-là, c’est important. Enfin, on a beaucoup parlé du médecin du travail qui est incontournable en matière de maintien, d’employeur, on ne peut pas passer à côté, mais il ne faut pas oublier le manager de proximité, parce que, celui-là, on s’est rendu compte que c’est lui le plus important dans l’histoire parce que c’est lui tous les matins qui décide que telle ou telle personne va faire tel ou tel travail, avec à la fois la représentation qu’il a sur la pathologie, la connaissance qu’il a, et très souvent, il ne l’a pas, et c’est lui qui va décider… on a appelé ça, nous, la gestion des ressources humaines de proximité, mais il le fait sans le savoir, quoi, sans en avoir connaissance. Donc, un levier d’action, ça va être aussi de former et d’essayer de les accompagner à avoir un peu plus de connaissances sur les pathologies… enfin, peut-être pas les pathologies, mais leur impact dans le travail. J’aurais encore beaucoup de choses à dire, mais le temps est écoulé. J’espère que je l’ai respecté. Voilà.

- Emilie Bourgeat : Avant d’appeler au pupitre le docteur Marielle Dumortier, on va visionner un extrait du reportage d’Envoyé spécial qui s’appelle « le travail qui casse » dans lequel on voit d’ailleurs la docteur Marielle Dumortier, qui est donc médecin du travail, et on voit vraiment les préconisations du médecin en actes, notamment lors de ses consultations itinérantes dans un petit camion transformé pour l’occasion en cabinet médical.

J’invite au pupitre la docteur Marielle Dumortier.

- Marielle Dumortier : Je vous remercie pour votre invitation.
Moi, je suis un vieux médecin du travail puisque ça fait trente-cinq ans que j’exerce ce métier. Je l’exerce en région parisienne, toujours sur le même bassin d’emploi. Donc, je peux vraiment témoigner que j’ai vu ce monde du travail complètement se transformer, avec tout d’abord une population au travail qui s’est modifiée, puisque cette population, elle vieillit de plus en plus, et notamment avec le recul de l’âge légal de la retraite, et du coup, l’allongement du temps de travail et l’augmentation de l’espérance de vie ne doivent pas s’accompagner d’incapacité, et on constate qu’un environnement inadapté et particulièrement sollicitant, sur le plan de la contrainte physique ou psychique, provoque des phénomènes d’usure prématurée et met en difficulté les salariés, en particulier les salariés vieillissants. De plus, le travail révèle précocement des déficits fonctionnels jusque-là muets et accélère ou amplifie les mécanismes du vieillissement.
Alors, je pense particulièrement évidemment aux contraintes physiques qui usent et rendent l’appareil locomoteur douloureux, mais pas que, il y a les horaires atypiques, l’exposition aux agents cancérogènes, aux risques psychosociaux, etc. Cette population se féminise aussi de plus en plus. Alors, bien sûr qu’être une femme au travail n’est pas un problème en soi, à part qu’il y a des pathologies spécifiques et des contraintes spécifiques quand on est une femme, l’endométriose, par exemple, et surtout, je voudrais signaler que la majorité des postes de travail, des équipements, des outils sont conçus aux normes masculines, ils sont conçus par des hommes sans tenir compte du fait que ce sont des femmes qui vont les utiliser. Inutile de rappeler que la ceinture moyenne des femmes est inférieure à celle des hommes, cette dame, par exemple, dans la vidéo, elle est petite, elle n’arrive pas à faire de la mise en rayon, donc, beaucoup de femmes travaillent dans des environnements inadaptés à leurs normes anthropomorphiques. Ça contribue à créer notamment des Tms. La population aussi au travail est de plus en plus porteuse de maladies chroniques ou de handicaps et l’enquête le montre bien. Près de la moitié des… enfin, le nombre de malades porteur de maladie chronique ou de handicap augmente de plus en plus parce que les progrès thérapeutiques sont là et que les maladies autrefois mortelles, aujourd’hui, dieu merci, les gens sont au travail, mais on voit du coup de nouvelles problématiques que sont ces salariés jeunes porteurs de maladie avec qui il faut penser avenir et carrière professionnelle. Ce n’est pas pareil que de trouver des solutions que pour quelqu’un qui est à deux ans de la retraite.
Les traitements pris par ces personnes malades peuvent être lourds, ça peut être des médicaments, des prothèses, etc., mais en eux-mêmes, ces traitements peuvent être à l’origine de troubles qui génèrent des pathologies à plus ou moins long terme, donc, il faudra aussi tenir compte des évolutions des traitements et leurs conséquences. Une population qui se transforme et aussi des organisations de travail qui se sont complètement transformées ces vingt dernières années avec des conditions de travail devenues… qui ont changé de registre. Quand j’ai commencé ma carrière, quand on salarié se plaignait de son travail, il disait : docteur, c’est trop lourd, etc. Maintenant, c’est : docteur, on m’en demande trop, je suis épuisé. Comme si la souffrance physique avait diminué par rapport à la souffrance psychique. Il y a eu d’indéniables progrès sur le plan des contraintes physiques dans le monde du travail, mais vraiment, là, maintenant, ce sont les risques psychosociaux et les plaintes pour ce registre-là qui envahissent réellement nos consultations. Et du coup, le poids psychologique trop important sur un salarié par ailleurs fragilisé est particulièrement délétère en matière de santé. Autre point qui a complètement transformé aussi les entreprises, c’est que, dans beaucoup d’entreprises, un certain nombre de postes ont été supprimés ou externalisés, et ces postes étaient jugés, en tout cas par nous, beaucoup plus légers en termes de contraintes physiques, je pense à tous les services administratifs, qui fondent comme neige au soleil dans beaucoup d’entreprises, un certain nombre de postes d’agents d’accueil, de gardiens, tous ces emplois-là, sur lesquels on pouvait demander et obtenir facilement des reclassements pour un certain nombre de salariés malades ou handicapés, ils n’existent plus dans les entreprises et ça pose d’énormes problèmes de possibilité de reclassement.
Et au regard de ce monde du travail qui a changé, nous, services de prévention et de santé au travail, on manque de ressources. On est dans une grande pénurie de temps médical, la loi nous impose des missions supplémentaires et les salariés qu’on a devant nous sont de façon générale en situation médico-sociale de plus en plus complexe, ce qui nous demande de plus en plus de temps pour gérer des dossiers, et tout cela fait que notre travail est de plus en plus difficile et que nous peinons, et nous accumulons des retards, en particulier pour les visites médicales, pour que nos salariés puissent accéder à nous.
Devant ce constat, quels sont finalement nos leviers d’action pour aider nos salariés handicapés ou atteints de maladie chronique ?
Notre rôle est essentiellement de conseiller l’employeur, les salariés et leurs représentants pour éviter l’altération de la santé du travailleur du fait de son travail. Alors, au sein de nos services de prévention et de santé au travail, évidemment, nous travaillons au sein d’une équipe pluridisciplinaire qui comprend des assistants sociaux, qui comprend un certain nombre de spécialistes en ergonomie, des psychologues, des tas de gens que nous activons pour un problème de santé, et nous avons mis en place, en tout cas, c’est rendu obligatoire par la dernière loi, des cellules de prévention de la désinsertion sociale, les cellules PDP, et vraiment, on les active régulièrement pour toutes ces problématiques-là.
Or, pour faire notre travail, nous avons deux types d’activité, une activité au sein de l’entreprise, au plus près des postes de travail, et une activité clinique, comme vous voyez dans mon camion. Quand je vois les chiffres que vous avez publiés, j’ai beaucoup de peine, quand j’entends que les salariés n’ont pas confiance en nous et que près de la moitié hésitent à nous livrer des informations. Régulièrement, nous sommes obligés de leur rappeler que nous ne sommes pas une médecine de contrôle, que nous sommes là pour les aider et pour… évidemment dans le respect des règles du secret médical, et qu’il n’est pas question d’y déroger. Très souvent, les salariés ignorent que l’aide qu’on peut leur apporter et craignent nos décisions et ne nous livrent pas des informations pourtant indispensables sur leur état de santé, et nous n’avons pas accès, même si la loi va nous y autoriser prochainement, aux dossiers médicaux, donc, on n’a que les informations que veulent bien nous donner les patients, ce qui peut évidemment avoir aussi des effets néfastes. Très souvent, les malades atteints de maladie chronique mettent en place des stratégies pour faire oublier leur maladie ou leur handicap, et du fait, on voit des malades qui reprennent trop précocement le travail parce qu’ils ont peur de perdre des jours de salaire, parce qu’ils ont une conscience professionnelle qui les anime et qu’ils craignent de surcharger leurs collègues, ils ont peur aussi des représailles parfois de l’employeur. Bien sûr qu’apprendre que l’on est atteint d’une maladie chronique bouleverse considérablement le rapport à la vie, à la mort et, par conséquent, au travail. Donc, quel que soit le type de visite médicale, notre priorité à nous sera toujours de faire le lien santé et travail, c’est le cœur de notre métier, mais quand même, très souvent, nous jouons les équilibristes, avec le consentement et l’accord, évidemment, du salarié, qu’on cherche le plus souvent possible, on est un équilibriste entre : qu’est-ce qu’il faut privilégier aujourd’hui, la santé physique, sa santé mentale ou alors le travail ? On est toujours comme ça dans quelque chose de très instable. A l’issue de chacun de nos examens médicaux, en tout cas, nous pouvons émettre un certain nombre de préconisations pour adapter ou aménager le poste, ça pourrait être des aménagements ergonomiques, de temps de travail, etc., nous pouvons aussi demander des changements de poste, des formations adaptées et émettre des avis d’inaptitude, ce qui est en dernier recours quand on a tout épuisé. L’employeur est tenu de respecter nos préconisations, bien sûr, il doit s’y conforter, notamment quand il y a avis d’aptitude avec réserve ou d’inaptitude. Mais, dans la réalité, c’est beaucoup plus compliqué que ça. Dans la réalité, autant un certain nombre d’entreprises mettent en place ça sans difficulté, autant, pour d’autres, c’est beaucoup plus compliqué et ils respectent plus ou moins nos restrictions et demandes, et là, nous leur rappelons évidemment leurs obligations, mais ils continuent à voir la maladie comme une anomalie qui rend leurs salariés fragiles, « donc pas sûrs, pas fiables. On ne peut pas compter sur eux, un long arrêt de travail est toujours possible, on lui refuse des postes à responsabilité… » on voit le salarié malade non pas comme un professionnel malade mais comme un malade, professionnel éventuellement.
Un travailleur avec une maladie non visible aura plus de mal à se faire accepter comme malade. La visibilité ou pas de la maladie ou du handicap, c’est quelque chose d’important. Parce que, pour beaucoup de gens, malheureusement, handicap rime encore trop souvent avec fauteuil roulant.
Prévenir l’impact aussi sur le collectif de travail fait partie de nos missions. Que faire face au rejet qui vient souvent des collègues de travail, à qui il incombe de faire le travail que le salarié malade ne peut pas faire ? Jusqu’où est-il légitime de laisser ces collègues en difficulté ? Il est indispensable de les prendre aussi en considération à mon avis. Donc, du coup, nous avons aussi un rôle de sensibilisation, sensibilisation du collectif de travail, de l’équipe, du management de proximité, de la hiérarchie dans son ensemble afin d’obtenir une véritable démarche de bienveillance, mais aussi de repenser une nouvelle organisation du travail autour de ces salariés en difficulté .
Les maladies chroniques sont fluctuantes, imprévisibles, difficiles à gérer, avec des périodes de rémission, de récidive, des poussées, qui nécessitent un dialogue entre tous, je pense aux collègues de personnes souffrant de troubles du comportement ou d’autres souffrant de maladies transmissibles. Les collègues ont peur, et du coup, pour se protéger, ils rejettent le malade. C’est là que nous intervenons, nous, service de santé au travail, pour éviter la désinsertion professionnelle en informant, en rassurant managers et collègues de travail.
Je crois que j’ai dépassé vraiment mon temps… devant la grande diversité des situations, notre rôle de médecin du travail me semble capital. Nous sommes très souvent le chef d’orchestre et nous activons finalement un petit peu les différents intervenants qui travaillent autour de ces questions-là.
Il faut bien sûr que nous connaissions toutes les pathologies, leur pronostic, leurs traitements et effets secondaires, mais nous devons aussi avoir une bonne connaissance du poste de travail et de l’organisation du travail dans l’entreprise, dans son ensemble, afin de déterminer quelles modifications sont réalistes et acceptables par l’employeur, les managers et le collectif de travail. Ça ne sert à rien de faire des restrictions si on sait que ça ne va pas être appliqué.
Nous mobilisons bien sûr les membres de nos services, mais aussi les acteurs institutionnels. En tout cas, toutes nos missions sont axées vers la lutte contre les discriminations et la lutte contre la désinsertion professionnelle, mais sans l’aide de l’entreprise, nous restons très démunis. Voilà.

- Emilie Bourgeat : Je vais inviter les intervenantes et intervenants de la table ronde, qui sera animée par Martin Clément, chef du pôle relation avec la société civile, étude et documentation du Défenseur des Droits.

Juste pour information, je vais laisser Martin présenter tous les intervenants et ensuite, on visionnera, avant la table ronde, une courte vidéo sur le retour à l’emploi après un cancer du sein.

- Martin Clément : Je vous en prie, prenez place. Je me permets de vous introduire et présenter l’ensemble des personnes qui ont accepté, et je vous remercie de participer à cette table ronde qui va s’axer sur, au-delà des constats, les leviers et les dispositifs, les expériences que l’on peut mobiliser pour mieux concilier maladies chroniques et travail dans un enjeu d’égalité. Thomas Sannié, vous êtes président de France Assos Santé, ex-président d’un ancien collectif, (Im)Patients, Chroniques et associés, Ile-de-France, je le précise, merci d’être avec nous.
François Martinez, vous êtes conseiller technique à la Direction de l’innovation, de l’évaluation et de la stratégie à l’AGEFIPH.
Nathalie Presson, vous êtes directrice générale de Cancer@Work, merci.
Geneviève Alhinc, directrice des ressources humaines de la Mutuelle nationale des hospitaliers.
Et François Schechter, inspecteur général des affaires sociales et président du comité d’évaluation des textes encadrant l’accès du marché du travail des personnes atteintes de maladies chroniques.
On vous propose de visionner une vidéo avant les questions.

- C’est une vidéo sur le retour à l’emploi après un cancer du soin et le travail d’accompagnement réalisé notamment par l’association RoseUp.


- Martin Clément : Bien.
Oui ?

- Merci à Aurélie qui est présente aujourd’hui et qui est directrice de l’association Maison RoseUp Paris.

- Martin Clément : Bien sûr. Merci. C’est important d’avoir eu ces témoignages. Ce qui va nous intéresser dans la table ronde, c’est de bénéficier de votre expertise, de vos retours d’expérience, des dispositifs, des expérimentations mises en place par les uns et les autres pour concilier maladie chronique et vie au travail. J’ai envie de commencer par vous, Thomas Sannié, par les enjeux du rôle que les associations ont pu jouer pour donner à voir, informer, sensibiliser. Vous avez établi au sein d’un précédent collectif un guide par et pour les personnes malades chroniques sur les enjeux de parcours de personnes avec une maladie chronique, avec un volet qui concernait la vie professionnelle. Sur ces questions, sur ces enjeux, comment les associations peuvent-elles des appuis importants en dialogue avec les parties prenantes pour mieux faire connaître et permettre de concilier à la fois les enjeux d’insertion professionnelle, de maintien au travail ou de retour au travail ?

- Thomas Sannié : C’est une vaste question. Je vais essayer de faire attention au temps.
Il y a un enjeu de constat pour nous. On n’a pas le baromètre, mais on a Santé Info Droit qui, tous les ans, rend… parle de tous les appels reçus, emails, etc., de la population française, et la question du travail, c’est 15% des sollicitations, et il est en augmentation de près de 20% en 2022, ça concerne les arrêts maladie, l’aménagement du poste de travail, comme évoqué tout à l’heure, mais aussi la discrimination et le harcèlement. Je voudrais quand même souligner qu’il y a deux formes de maladie chronique, on a beaucoup parlé de l’apparition de la maladie chronique, mais beaucoup de gens naissent avec. Il y a ceux qui naissent avec et ceux qui connaissent, à un moment donné, des maladies chroniques. C’est une appréhension de la manière dont on se voit aussi en capacité de travailler qui est différente et qui peut être, doit être prise en compte. La maladie chronique, c’est un ajustement en permanence dans la vie, on voit qu’il y a de réelles stratégies pour concilier… les gens ont de réelles stratégies intelligentes pour faire en sorte de pouvoir continuer à travailler, exercer leur travail, etc., et ils développent des savoir expérientiels assez importants sur les réactions possibles, comment faire en sorte que leur travail soit compatible avec leur maladie, etc. quand 25% de la population active est concernée, toutes les entreprises sont concernées par ce sujet. Donc, au-delà du simple baromètre, de la température, il s’agit d’envisager des pistes d’amélioration et de travail. Comment on fait ?
One première chose, c’est l’information sur ces sujets-là, donner des guides, un patient de (Im)Patients, Chroniques et associés produisait des guides. L’enjeu d’information, les associations de patients, notamment celles incluses dans France Assos Santé, donnent ces éléments d’information, mais l’enjeu est aussi d’accompagnement des personnes. Mais il y en a un autre après qui est très important. L’accompagnement, c’est par exemple le développement de l’éducation thérapeutique, avec ce qui est fait dans les établissements de santé, mais ce qui est fait aussi avec les mouvements associatifs pour un certain nombre de pathologies, dans lesquels la question de santé et travail fait partie des modules, etc. Mais ce travail, comment on construit ces actions, ces ateliers d’éducation thérapeutiques ? Il ne se fait pas sans les gens. C’est-à-dire, pour déterminer leurs besoins réels sur la question de la santé au travail, il faut d’abord les interroger, travailler avec eux sur les objectifs pédagogiques de ces ateliers, pour qu’ils soient le plus efficace. Une des premières questions, c’est : dire, ne pas dire ? Ça évolue au fur et à mesure du temps et de l’âge, parfois, vous êtes en meilleur santé à 20 ans qu’à 50, donc, cet enjeu évolue dans le temps, en fonction de la pathologie, etc. Mais il faut aider les gens à avoir un choix éclairé. La maladie, on la subit, c’est un des grands troubles de la vie dans laquelle on a l’impression qu’on ne maîtrise plus. Donc, tout ce qui peut, en particulier dans les actions d’accompagnement ou d’éducation thérapeutique, permettre de retrouver du pouvoir d’agir des personnes, pour les aider à tirer ce fil. Je vais m’arrêter là, je pense que j’ai dépassé le temps…

- Martin Clément : C’est une bonne introduction. On pourra y revenir derrière. Je voudrais me tourner maintenant vers Geneviève Alhinc sur la façon dont, côté un peu employeur, lorsqu’on est confronté à cette situation, comment on la prend en charge, et lorsqu’on s’y confronte, quels enseignements, quels dispositifs, quels bénéfices on peut trouver aussi à s’en être préoccupé ? En la matière, je crois que vous avez eu un cas qui vous a amenée à vous pencher sur ce sujet.

- Geneviève Alhinc : Exactement.
En 2019, nous avons eu un collaborateur qui est resté dix-huit mois en dehors de son environnement de travail puisqu’il avait été hospitalisé pendant douze mois, puis il a eu une rééducation. Tout ça, nous l’avons su parce que nous étions en lien avec son partenaire. Et, du coup, nous ne nous sommes pas rendu compte, quand il est revenu, de la victoire que c’était pour lui de pouvoir reprendre le travail. On avait l’impression d’avoir tout fait, d’avoir écouté les préconisations de la médecine du travail, d’avoir pris en charge tout le système de prévoyance, d’avoir informé son manager qu’il revenait, mais, malgré tout, on l’a très mal accueilli et il a osé nous raconter ça quelques mois plus tard, on l’a mal accueilli parce qu’on a considérait qu’il revenait « normalement » de sa longue maladie, et l’équipe n’était pas forcément prévenue qu’il revenait, ne savait pas forcément ce qu’il avait eu, le manager l’a accueilli, mais pas plus que ça, et donc, du coup, on s’est rendu compte avec une de mes collaboratrices qu’on n’avait pas du tout eu conscience de cette victoire que ça avait été pour lui et que ce retour était extrêmement important. Du coup, on s’est dit : il faut qu’on fasse quelque chose, que l’on mette en place un processus qui parte de nos collaborateurs pour que, justement, on puisse mieux les accueillir.
Donc, parmi les actions que l’on a pu tout de suite mettre en place, déjà, dans l’organisation, mal collaboratrice a été nommée responsable discrimination, inclusion et diversité, pour que, dans l’organisation, on montre qu’on porte ce sujet. Nous avons ensuite… la MNH est un groupe de près de 5000 personnes avec différentes entités juridiques, nous avons donc mis en place en 2020 un comité des référents handicap, avec des représentants volontaires de chaque entité pour être référent handicap. Nous avons formé tous nos référents handicap et nous nous réunissons depuis 2020 tous les deux ans pour partager nos bonnes pratiques ou les moins bonnes, d’ailleurs, parce que c’est comme ça qu’on progresse, pour communiquer sans arrêt, mettre en place des évènements : Octobre Rose, Movember, etc.
Nous organisons des Handi-lympiades en interne où nos collaborateurs qui ne sont pas porteurs de handicap ou de maladie chronique peuvent « tester » l’effet que ça fait avec des lunettes quand on ne voit pas bien, etc. Et puis, si je rebondis sur le fait que le manager de proximité est important, oui, il l’est, et donc, nous avons des formations, des sessions de formation au handicap, à la non-discrimination auprès de nos managers, nous avions un séminaire manager la semaine dernière, et nous avons consacré cet après-midi à les former à la détection des risques psychosociaux, qu’est-ce qu’un harcèlement et comment éviter de se retrouver dans cette situation.
Nous avons également des brochures dans lesquelles nous indiquons le nom de tous nos référents, que ce soit les référents handicap, le référent prévention, les coordonnées de la CSSCT, du CSE, des référents harcèlement de notre CSE. Nous travaillons beaucoup avec nos organisations syndicales pour la conclusion d’accords. On a un accord par exemple de télétravail avec des jours flottants en plus pour nos personnels en situation de handicap. Sur la souplesse de nos horaires, nous avons un accord également qui leur permette d’arriver entre 7h30 et 9h30, ce qui est important quand on a du mal à se lever le matin, à cause de la fatigue… Vous me dites si je dépasse… !
Donc, voilà quelques-unes des actions que nous avons mises en place, mais surtout, si je reviens à ma première expérience malheureuse, depuis cette expérience, nous organisons des entretiens de retour, dès lors qu’une personne revient d’un congé longue maladie. Ce sont les RH qui font cet entretien, pour que la parole soit libérée, et avec eux, nous reprenons la problématique de la charge de travail, les aménagements, quels aménagements sont nécessaires en dehors des aménagements préconisés par la médecine du travail, nous appelons avant le retour le manager et l’équipe, nous les informons, nous discutons avec eux du retour de ces collaborateurs. Ce qui est fondamental, c’est de les maintenir dans l’emploi.

- Martin Clément : Merci pour cette vue de l’intérieur et les dispositifs qu’on peut mobiliser. François Martinez, je voudrais continuer avec vous sur le rôle de l’AGEFIPH, on a vu l’importance de l’information, de la sensibilisation, de la formation des managers de proximité, comment faire pour sécuriser la relation entre salarié et management, par une prestation d’appui, comment on organise le travail, comment on dégage des marges de manœuvre ? Du côté de l’AGEFIPH, quelles sont les initiatives ou expérimentations que vous avez été amenés à conduire ? Avez-vous des exemples sur ces questions ?

- François Martinez : Oui, tout d’abord, merci à la Défenseure des droits et à ses équipes pour avoir porté un coup de projecteur appuyé sur cette question. Elle devient une question d’ampleur y compris pour l’AGEFIPH, un bénéficiaire de l’obligation d’emploi sur deux qui est en emploi a cinquante ans et plus, et on a la même statistique pour les demandeurs d’emploi bénéficiaires de l’obligation d’emploi, donc, c’est une donnée démographique qui nous oblige à aller rechercher des modes d’action et inventer ces modes d’action et les construire. Tout d’abord, effectivement, cette dynamique d’expérimentation développée par l’AGEFIPH de façon très résolue, maintenant, depuis quatre ans, elle s’adosse aussi à une offre de services qui est déployée sur l’ensemble des territoires au plus près des besoins, et qui s’adresse à la fois aux personnes, sous la forme d’aides individuelles, aux entreprises, y compris sous l’angle d’ailleurs de l’information et du conseil, bien évidemment, et aussi de façon assez offensive sur l’accompagnement des référents handicap, qui sont aujourd’hui des partenaires indispensables pour ces actions.
Et puis l’AGEFIPH développe toujours, sur ce volet, qui est à la fois celui de l’information, de la sensibilisation et de la professionnalisation, une offre de professionnalisation qui doit permettre à l’ensemble des acteurs d’avancer sur ces questions. Alors, en matière d’expérimentation, finalement, on a mis l’accent, mais ce n’est pas tellement l’AGEFIPH qui l’a fait, ce sont les forces vives, ce sont les initiatives, et notamment les initiatives associatives, les propositions venant du monde de la recherche, qui nous ont conduits à soutenir un certain nombre d’actions et de projets autour du cancer. Alors, bien évidemment, du cancer en tant que sujet, en tant que tel, et qu’il faut prendre en compte et peut-être apprendre à accompagner sur la question du travail et de l’emploi, mais aussi du cancer en tant qu’objet-loupe qui nous permet de mieux envisager, de mieux comprendre, et qui nous permet de construire des modes d’action pour répondre à cet enjeu autour des maladies chroniques évolutives.
On a beaucoup parlé des situations de travail, et on va en reparler, bien évidemment, mais je tenais aussi à dire qu’on a aussi quelques sujets autour des demandeurs d’emploi et des demandeuses d’emploi, je souligne une des expérimentations qui a été développée par Sœur d’Encre, dans le Bordelais, Dominique les connais bien !, c’est une expérimentation qui est partie tout simplement du tatouage de reconstruction après un cancer du sein, et les Sœurs d’Encre ont identifié que les femmes qui ont perdu leur emploi, qui n’en avaient pas, qui en plus étaient touchées par la maladie, avaient de grandes difficultés à repartir sur un parcours en emploi. C’est la richesse aussi de l’économie sociale et solidaire, que l’on regarde, et ces femmes sont accompagnées dans des parcours d’accompagnement collectif, où elles se retrouvent entre elles sur une activité d’upcycling, c’est-à-dire embellir du mobilier un peu délaissé, parfois un peu endommagé, l’embellir de façon très artistique et lui redonner de la valeur.
Pour l’anecdote, quand même, cette action a été saluée par le président de la République. Elles ont inventé autre chose de tout à fait intéressant qui doit permettre aussi d’aborder le sujet dans l’entreprise, une action qui s’appelle BoNéNé, c’est-à-dire créer une activité dans l’entreprise, comment, en découpant un soutien-gorge, on crée une œuvre artistique par l’activité de broderie, et on les soutient pour qu’elles aillent dans les entreprises, et elles disent : on vous propose deux heures d’atelier, dans les entreprises, et c’est étonnant la façon dont c’est reçu, y compris les hommes qui participent à ces ateliers et qui découvrent cette question du cancer, parce qu’il y a le sujet de la libération de la parole, qui ne peut se libérer que si on crée des espaces de confiance avec des tiers de confiance. Ce sont souvent les personnes concernées elles-mêmes, celles qui ont élaboré, et je reprends la notion de savoir expérientiel, qui ont une réflexion sur leur parcours, qui sont à même de déclencher des processus d’écoute et de partage.
Cette question de la sensibilisation est donc très importante. Accompagner les personnes, notamment qui ont perdu leur emploi… alors, certaines décident de sortir de l’emploi volontairement parce que le parcours de la maladie, le vécu de la maladie les amène à en sortir, et elles décident, pour certaines, de le faire. D’autres le subissent. Et, donc, on s’est rapproché de la chair compétence et vulnérabilité avec Catherine Tourette-Turgis pour imaginer un pilote de bilan de compétences sensibles à l’expérience du cancer pour que les bilans de compétences ne passent plus à côté de compétences moins établies, peut-être un peu techniques, qu’on réinvente et qu’on fasse en sorte que le bilan de compétences soit davantage inclusif et prenne en compte cette dimension. C’est important car ça permet de faire tremplin à un moment donné vers un nouveau parcours. Est-ce que j’ai encore un petit peu de temps ?

- Oui.

- François Martinez : Donc, je vais évoquer une autre action que l’on partage avec l’ARACT, et vous verrez que, dans un certain nombre d’expérimentations, on est très proche de l’ARACT et de l’ANACT, notamment une action destinée aux travailleurs indépendants, parce que là aussi, c’est une situation particulière de maladie chronique évolutive vécue par les travailleurs indépendants, qui, souvent, se soignent d’abord très mal, ou font aussi une forme de déni parce qu’ils priment leur activité, et il y a eu, sur le territoire des Bouches-du-Rhône, il y a toujours, une action pour essayer d’imaginer des modes d’action qui fassent… et on n’est pas surpris, cette action va même jusqu’à bien évidemment analyser quelle est l’activité de travail particulière de ces travailleurs indépendants, pour essayer de trouver des combinaisons, des solutions pour qu’ils puissent faire en sorte que leur activité perdure, car, chez un certain nombre d’entre eux, l’activité, pour eux, comme pour beaucoup de salariés, peut être facteur de santé dès lors qu’on y met les conditions. Je reviendrai tout à l’heure, je reprendrai d’autres exemples tout à l’heure.

- Martin Clément : Peut-être dans le cadre de l’échange.
On a vu la question finalement de l’engagement des entreprises et des employeurs sur ces sujets, il n’est pas simple, parfois, c’est une expérience malheureuse qui fait prendre conscience. Il y a un enjeu fort finalement d’engager les entreprises à l’action, à lever les stéréotypes qui sont associés à ces maladies, ou parfois à ces handicaps, donc, comment on fait prendre en considération ce sujet-là ? Comment les entreprises elles-mêmes ont besoin parfois de partager, d’échanger entre elles sur les bonnes pratiques et la façon de prendre en considération ces enjeux, c’est une partie de votre travail, Nathalie Presson, avec Cancer@Work, pouvez-vous nous en dire un petit peu plus ?

- Nathalie Presson : Merci pour ce temps de parole. Je vais essayer de respecter les cinq minutes octroyées. Cancer@Work est une association loi 1901 avec un fonctionnement de club d’entreprises, qui a pour objectif de fédérer dirigeants et RH et de les engager dans l’action, à mieux concilier cancer, maladie grave, travail, performance et organisation.
Aujourd’hui, on a 130 entreprises membres en France, soit un peu plus de 10% de la population active, et on a une présence désormais au Luxembourg, et demain au UK, et la Belgique, l’Italie et l’Espagne vont suivre, puisque notre méthode d’approche, en tant que club d’entreprises, ça n’existe pas dans le monde.
Notre approche, elle est la suivante, elle est simple : une entreprise qui vient nous rejoindre, c’est qu’elle a d’abord cette volonté au niveau dirigeant de vouloir rentrer dans l’action pour le bien de ses salariés, de ses salariés malades mais aussi de l’environnement de travail, puisqu’on l’a dit, un salarié malade, c’est tout un environnement de travail qui est perturbé.
Donc, cette volonté du dirigeant, elle est marquée très fortement par un premier temps, une première étape qui est une signature très officielle de charte, mais elle est suivie très rapidement par la mise à disposition d’un outil barométrique qui permet anonymement d’aller questionner, investiguer les besoins des salariés, de l’entreprise, et c’est en fonction des réponses apportées, anonymes, que se construit le plan d’action.
Donc, en fait, à Cancer@Work, je n’ai pas de plan d’action tout fait que j’amène dans chaque entreprise en disant : vous faites ça en A, en B, et après, votre plan d’action sera parfait… Non. On construit le plan d’action le plus adapté à l’organisation de l’entreprise, qu’elle soit territoriale ou de service. Ce plan d’action réussi, il y a une volonté de la part des entreprises membres du club de partager, donc, il y a un partage de bonnes pratiques qui se fait tout au long de l’année, et puis il y a évidemment de l’inspiration, les actions qui fonctionnent sont inspirantes pour les autres entreprises du club. Donc, ce temps d’échange dans l’année est extrêmement important et qualifié.
Et puis, on a une action aussi avec les entreprises du club, on mesure l’impact des actions et de la maladie au travail. On a créé à leur demande un label qui est complètement intégrable dans les rapports extra-financiers des entreprises, qui correspond à tous les standards nationaux et internationaux de RSE, qui participent aux objectifs de développement durable 2030 des Nations unies, qui est un marqueur important pour les entreprises des actions menées, mais aussi des progrès réalisés. Et aujourd’hui, on a 25 entreprises labellisées, je sais que ça ne va pas faire que se poursuivre, et puis, dernier point, évidemment, nous n’oublions pas, même si nous sommes un club d’entreprises, nous n’oublions pas les personnes touchées par la maladie et les entreprises membres consacrent du temps toute l’année pour rencontrer, dialoguer avec des personnes qui ont vécu l’expérience de vie de la maladie avec l’objectif de leur redonner confiance et de leur dire : vous avez les compétences, on a peut-être même de nouvelles compétences que la maladie a révélées. Il faut s’en saisir. Et l’entreprise vous attend. Il y a des entreprises volontaires prêtes à faire des choses, on est contacté tous les jours par de nouvelles entreprises, et je suis sûre que le sujet est une attente de la part des ressources humaines parce que les entreprises sont très gênées avec ce sujet, quand on parle du cancer, on sait que c’est lié à beaucoup d’images négatives, donc, même sur les éléments de langage, les entreprises ont besoin d’avoir en fait un conseil, un accompagnement, et surtout d’échanger entre elles, qu’elles soient grandes ou petites et quel que soit le secteur d’activité.

- Martin Clément : Merci. Je veux continuer avec vous, François Schechter, vous animez le comité axé sur l’accès au marché de l’emploi des personnes atteintes de maladie chronique, en dialogue avec les acteurs associatifs pour faire la part des choses sur des maladies parfois évolutives, dont les évolutions de la médecine permettent la conciliation et le maintien dans l’emploi. Est-ce que vous pouvez nous présenter le fonctionnement de ce comité, ses grands chantiers, et peut-être nous donner des exemples sur la façon dont, lorsqu’on regarde de façon très concrète les lieux, les contextes, les conditions de travail, on peut lever les représentations négatives liées à ces maladies ?

- François Schechter : Merci. Si vous lisez le titre de ce comité, on a un peu peur parce que ce n’est pas d’une clarté… on ne m’a pas demandé de rapport d’étonnement, donc, je vais le faire maintenant. Ce comité porte le mot « évaluation » et l’élément « marché du travail ». Le mot « évaluation », en réalité, il est lié à la loi Firmin-Le Bodo et au décret du 22 avril 2022 qui prévoit, en réalité, que l’on ouvre, parce que c’est l’objectif premier de cette loi, le secteur public aux malades atteints de maladies chroniques, puisque ce secteur administratif, mais aussi les opérateurs de l’Etat, étaient très imprégnés d’une logique de sélection à l’entrée, qui est liée au fait que nous avons des statuts et qu’on recrute les gens pour une durée très longue, et puis nous avons des fonctions régaliennes. Je vais y revenir. En prenant la tête de ce comité, je me suis aperçu qu’il fallait absolument prioriser les chantiers, et donc, le premier, le plus difficile, c’est celui de donner une définition commune au mot « évaluation », parce qu’on voit que le législateur a laissé ce mot, mais qu’il a deux sens : l’évaluation au sens de Marceau Long, c’est-à-dire l’évaluation de la transposition juridique dans le cadre de la hiérarchie des normes. Est-ce que mon décret est conforme à la loi, etc. ? Et, aujourd’hui, les associations attendent une évaluation globale du dispositif et son impact sur la vie des gens. Il faudra donc passer de la première à la deuxième définition dans un temps, le comité dure trois ans, mais on voit que ça va durer plus longtemps, mais c’est une des missions de ce comité sans qu’elle lui ait été confiée officiellement. Deuxième élément, c’est le marché du travail. Nous avons dû choisir des cibles. Les premières, c’est le dur, les fonctions régaliennes de l’Etat, l’armée, la police, la direction de l’administration pénitentiaire et les pompiers, je parle de ceux qui ne sont pas des militaires ni des pompiers volontaires. Donc, on s’est fixé l’objectif de faire avancer ces sujets-là parce que c’est là où on a le plus de difficultés. Et on s’est heurté à ce à quoi on s’attendait : des administrations très puissantes et irrédentiste, et ce comité et interministériel, j’ai oublié de le rappeler, et le ministère de l’Intérieur notamment devra intégrer le fait que c’est une politique interministérielle, et donc, nous devons obtenir rapidement que ces grandes directions abandonnent cette approche qui n’est plus une approche Sigycop, c’est-à-dire qui n’est plus une approche normée, mais qui reste très marquée par des médecins qui défendent une vision de l’activité professionnelle qui, par moment, est clairement orthogonale avec ce que nous voulons. C’est toujours pareil, on est en France, nous sommes des gens malins, donc, on ne va jamais vous dire qu’on n’est pas d’accord avec vos objectifs, surtout si c’est une loi, mais on vous explique que l’interprétation de ces objectifs se heurte à d’autres difficultés. Effectivement, si on dit à un décideur public que l’armée doit pouvoir projeter en tout lieu et en tout temps du personnel et qu’on fait un descriptif d’une personne faisant une crise de diabète ou une maladie de Crohn, vous prenez peur et vous remballez.
Notre objectif, c’est de faire en sorte que ces grandes directions changent. Je fais un certain nombre de démarches pour que ça avance et ça demande beaucoup d’humilité de ma part.
Sur les grandes directions qui couvrent la fonction militaire, celle de la police nationale et les pompiers, nous avançons à un rythme insuffisant, mais c’est la vie administrative. Deuxième point : nous avons une comitologie faible aujourd’hui. C’est ce petit comité avec des représentants des associations, des experts juridiques, des experts médicaux, même si nous avons la chance d’avoir le professeur Fassier et Maxime Hentzien.
Nous sommes vraiment des tout petits, des toutes petites personnes. Donc, nous sommes en recherche d’une comitologie… Nous n’avancerons que quand la GRH publique aura intégré le fait qu’ils ont besoin de compétences, d’avoir des environnements de travail, des collectifs de travail qui acceptent les personnes en situation de maladie chronique et ils ont besoin de suivre les gens dans la durée, et malheureusement, nous savons que la fonction publique a de grandes qualités, mais pour ce qui est de suivre individuellement les personnes et les accompagner dans la vie professionnelle, nous sommes plutôt limités. Ce comité a une durée de vie de trois ans et il aboutira de toute façon, je pense que ce sera un grand choix et je pense que la Défenseure des droits aura certainement à évoquer le sujet et à donner son regard. La question est de savoir : est-ce que nous rejoignons une comitologie déjà établie qui a des relais, une gouvernance, des résultats, ou est-ce que nous créons quelque chose de particulier pour les personnes souffrant de maladie chronique ? Avec ce que je comprends très bien, le fait que ce sont des histoires extrêmement différentes mais avec une fragilité institutionnelle qui risque de perdurer.

- Martin Clément : Merci. C’était important d’avoir votre regard et un peu cette explication et rappeler que ces questions de la maladie chronique, ça concerne évidemment aussi l’emploi public. On n’a plus beaucoup de temps, mais je vous propose malgré tout de faire un petit tour… Je sais que Thomas Sannié, je vous ai un peu frustré, je vous laisse peut-être l’occasion d’apporter un complément. Il y a les enjeux, on l’a évoqué, à la mobilisation, qui est de coordonner des acteurs, internes et externes, et l’important d’avoir une culture partagée entre patients, usagers, DRH, acteurs de l’aménagement. Quels compléments vouliez-vous partager ?

- Thomas Sannié : Au-delà du baromètre, la question, c’est : qu’est-ce qu’on fait ensuite ? J’ai évoqué l’accompagnement mis en place par les mouvements associatifs, les mouvements d’éducation thérapeutique, avec les professionnels de santé, qui permet de développer la capacité à agir des personnes, mais il y a aussi à changer l’environnement du travail. Sauf que le cadre légal aujourd’hui est insuffisant. On a le choix entre arrêt maladie, mi-temps thérapeutique, invalidité. Plein de gens peuvent exercer leur activité professionnelle de manière totalement différente.
Sauf qu’on n’a pas les espaces, ou si peu, de travail qui permettent d’imaginer. Impliquer les travailleurs qui ont ces expériences-là, ces stratégies, qui ont su les développer au fil du temps, c’est un travail essentiel pour imaginer des solutions adaptées à la situation des entreprises. Il ne s’agit plus d’aller… on parle du niveau d’engagement des personnes, il ne s’agit pas simplement de faire de l’information, de la consultation, il s’agit d’établir de réels partenariats de travail avec les personnes directement concernées.
C’est là que des modèles expérimentaux, mais qui pourraient avoir d’autres destins, notamment à travers votre comité et les propositions qui pourraient y être faites, de création d’espaces de travail, avec les personnes, parce que les dispositifs, ce qu’on a dit, c’était souvent « pour » les gens, mais l’enjeu aujourd’hui, parce que la démocratie a aussi un peu changé, la manière de l’exercer, les personnes ont plus de capacités aujourd’hui à faire transmettre tout ça, et le désir aussi, et donc, de faire avec eux. Et la deuxième chose, c’est que le monde du travail est ce qu’il est, le contrat de travail est un lien de subordination, et les enjeux de symétrie et de parole au travail, c’est un véritable enjeu. Parfois, il y a des tiers qui facilitent l’expression, l’organisation de ces espaces de travail pour trouver des solutions, qui permettent à la fois d’imaginer comment les gens peuvent rentrer autrement, exercer leur activité, leur profession autrement, inventer avec eux, mais aussi la manière dont ça va impacter les organisations autour.
C’est-à-dire que ces modèles de travail collaboratif avec des personnes, avec les acteurs de l’entreprise qui s’occupent de ces questions, c’est aussi une manière de penser le travail avec des personnes atteintes de maladie chronique en général, de manière moins « dramatique », donc, de l’imaginer. Un des moyens que je préconise, c’est donc l’engagement du partenariat avec les patients et les acteurs du travail au sein des entreprises.

- Martin Clément : Merci. C’est un point auquel on est très attaché, c’est pourquoi on a tenu à faire témoigner, parfois par le biais de vidéos, les personnes concernées parce qu’on voit bien qu’elles ont une expérience, un savoir, des compétences à partager, et on voit bien que c’est un peu un trait commun que vous avez de cette préoccupation d’analyser les situations de façon très concrètes. On a dépassé très légèrement le temps qui nous était dévolu mais l’échange va se poursuivre avec la salle.
Dans les acteurs internes et externes, il y a la question des représentants des salariés, des agents publics, des organisations syndicales, on pourrait peut-être avoir dans la salle des témoignages des rôles que les uns et les autres considèrent dans la matière.
Je vous propose dès à présent, si c’est possible, d’ouvrir l’échange avec la salle. Qui veut commencer ? Je crois qu’un micro circule. Allez-y, au centre.

- Merci, bonjour, Anne-Catherine Gutknecht, secrétaire nationale à la CFE-CGC en charge des droits humains, entre autres. Je voulais apporter un éclairage. On a beaucoup parlé des collectifs de travail et des managers de proximité, mon organisation ayant 60% d’ingénieurs et de cadres, je voulais dire qu’il ne faut pas oublier le rôle des organisations syndicales dans le collectif de travail en particulier. Les organisations syndicales sont presque plus que ça, elles sont des parties constituantes de l’entreprise et ont un rôle dans différentes instances. Seules 20% des personnes qui se sentent discriminées ont fait appel à leurs organisations syndicales. Je trouve ça regrettable. Il faudrait vraiment trouver un moyen pour faciliter le dialogue. Il y a eu des pistes avec des comités d’espaces de dialogue et de discussion, et je crois que, là, comme les organisations syndicales ont des liens resserrés avec l’inspection du travail, avec les médecins du travail aussi, avec tous les référents qui sont nommés dans les entreprises, on peut tout à fait trouver des moyens de réorganiser le travail, de permettre à toutes les personnes qui sont concernées par des discriminations de s’épanouir dans le travail en ayant une meilleure prise en compte de leur situation personnelle, et donc, je disais, peut-être à destination des employeurs ici présents, de continuer au maximum à intégrer les organisations syndicales dans les différents processus, parce que c’est, là aussi, un des moyens de trouver des solutions et d’utiliser en fait des salariés qui sont tout à fait à même de faire remonter aussi des difficultés pour les mettre au cœur du débat.

- Martin Clément : Merci. C’était important.
On prolonge avec votre voisin, François Clerc.

- Bonjour. La discrimination liée à l’état de santé au travail, c’est une réalité, et la grosse difficulté, ce n’est pas tant de l’identifier que de pouvoir agir pour la corriger, pour trouver des solutions, des réparations. C’est plutôt une observation que je fais là, parce que moi qui monte des dossiers en discrimination sur d’autres registres, je croise dans pratiquement tous les dossiers des discriminations sur l’état de santé. Je procède par des panels de comparaison de salariés en situations comparables, et quand un requérant vient me voir pour faire son dossier pour une raison discriminatoire quelconque, quand je trouve les personnes, par rapport à ce panel de comparaison, la personne discriminée est en bas d’étage, et la personne pénalisée en termes d’évolution promotionnelle avec les conséquences sur le salaire, bien évidemment, ce sont des personnes qui sont liées au handicap ou qui subissent une discrimination liée à leur état de santé.
Les identifier, c’est une chose, mais quel moyen d’agir ? Parce que ces personnes subissent plusieurs formes de discrimination et d’entraves. Il s’agit de lutter pour elle contre la discrimination, mais en plus, quand il faut faire valoir à son employeur qu’on est stigmatisé, qu’on subit une discrimination, qu’on est pénalisé dans son évolution professionnelle, promotionnelle, avec les conséquences que ça a sur le salaire, vous imaginez les difficultés que ça a, parce que même pour d’autres formes de discrimination, ce n’est pas facile d’agir, mais pour celle-là… Et je ne vous cache pas que je détecte beaucoup de discriminations liées à l’état de santé mais je ne traite jamais de dossier en discrimination liée à l’état de santé. Je vous remercie.

- Martin Clément : Merci pour cette observation. Monsieur ?
Allez-y. Présentez-vous et dites-nos… François Clair, ça n’a pas été dit, tout à l’heure.

- Bruno Gourier, bonjour à tous, Conseil français des personnes handicapées aux affaires européennes et internationales et Forum européen des personnes handicapées.
Juste un point sur les aménagements raisonnables.
Je suis traducteur et interprète dans une de mes vies, reasonnable se traduit par « capable de raison », c’est « reason » « able ». Ceci veut dire très concrètement, et on ne peut que s’en réjouir, on a entendu parler d’humanité ce matin, donc, merci à toutes les communications pour avoir parlé d’humanité, parce que c’est là que pêchent les aménagements raisonnables en matière juridique.
En fait, comment pourrait-on concevoir comme un aménagement raisonnable l’accompagnement, même léger, d’une personne qui, par exemple, souffre d’être binaire ? Juste quand elle perd son chemin, une main qui se pose sur son épaule et elle retrouve son chemin. Il y a toute une question de rencontre au sein de l’emploi, et au moment même de la création de l’AGEFIPH, déjà cette question était présente, car elle est en lien direct avec l’article 13 du traité d’Amsterdam, donc, je pense qu’il y a quelque chose à repenser ensemble, et partenarialement, bien sûr, sur la question des aménagements raisonnables.
Quel est l’aspect humain de ces aménagements ? Merci.

- Martin Clément : C’est effectivement une pointe essentielle puisque c’est l’approche que l’on mobilise le plus souvent dans nos dossiers.
Madame Levet, présentez-vous.

- Bonjour à toutes et à tous, merci de me donner la parole, je suis professeure associée à l’université Lyon 3 et je pilote une association d’intérêt général, le Nouvel Institut, qui porte des projets d’innovation ouverte. Sur le sujet qui nous intéresse ici, il me semble que ce qui peut être utile dans ce que j’ai à vous raconter, qui s’appuie très légèrement sur tout ce qui a été dit ce matin, c’est que, sr ces affaires de discrimination, notamment en lien avec l’état de santé, il y a beaucoup de connaissances manquantes, et le prisme des discriminations et des difficultés des personnes est utile pour comprendre ce qui se joue sur le terrain, mais, d’un autre côté, d’autres connaissances, d’autres savoirs, d’autres savoirs d’expérience peuvent être utiles pour nous éclairer aussi sur les enjeux de ces situations, telles qu’elles mobilisent des stratégies, les stratégies des uns et des autres, Thomas Sannié en a parlé, François Martinez également. Les stratégies que mobilisent les uns et les autres face à ces situations, et là, c’est un nouveau pan de savoir qui s’ouvre devant nos yeux, dans lequel on s’aperçoit que ça interroge en effet à la fois le cadre juridique, pour partie le cadre juridique du maintien dans l’emploi expose à des risques de désinsertion professionnelle, qu’est-ce qu’il faut changer dans ce cadre ? Et évidemment que le mieux est l’ennemi du bien, mais une partie d’enjeu d’accommodement, d’aménagement, d’un maintien raisonnable passerait par des solutions souples, réversibles, etc., aujourd’hui, dans le droit du travail, cet espace dans lequel les uns et les autres pourraient, en confiance, une activité de travail qui mobiliserait les ressorts de l’initiative de la personne en fonction de son état de santé, tout ça est impensé, le droit, les pratiques managériales mais aussi les outils de gestion. La question de la possibilité de travailler avec ou après un cancer, par exemple, pose des questions au système de gestion de la performance, par exemple, ou de la reconnaissance des salaires, etc. Il ne suffit pas d’accompagner les personnes, il y a les situations qu’il faut accompagner, il y a la personne, son manager, les règles de gestion, etc.
Il me semble que l’éclairage sur : que font ceux qui essaient de se dépatouiller de ces situations, les personnes malades, les managers ?, ça constitue un ensemble de connaissances de premier ordre pour progresser. On a besoin des connaissances sur les difficultés, mais aussi connaissances de ces savoirs d’expérience, irremplaçables pour avancer et inventer des mondes plus soutenables pour toutes et tous.

- Martin Clément : Merci. Thomas Sannié, si vous voulez faire un complément, puis un nouveau tour de question peut-être.

- Thomas Sannié : Merci. Il y a un enjeu, c’est l’enjeu de développer la capacité des personnes avec des maladies chroniques, car dès lors qu’on l’affiche, il y a des discriminations au travail qui sont inacceptables et qu’il faut corriger, il y a aussi une autre réalité, c’est que les personnes atteintes de maladies chroniques veulent pouvoir travailler si elles le peuvent, et souvent, le cadre tel qu’il est aujourd’hui ne l’est pas, or, nous sommes vus comme des personnes incapables de produire de la connaissance, du savoir pour améliorer la situation. Et c’est ça qui doit aussi changer. C’est-à-dire qu’il faut soutenir et accompagner au plus proche les personnes les plus en difficulté, et il faut aussi profiter de cette expérience et ces savoirs pour aider les organisations à évoluer.
Quand il y a 25% de la population qui est concernée, ça concerne… c’est majeur et ça veut dire qu’il faut travailler avec elles.

- Martin Clément : On espère que cette table ronde aura en tout cas permis d’y contribuer. Merci encore pour vos interventions les uns et les autres, désolé du caractère parfois frustrant du temps qui nous était compté. On va sortir et j’invite Mme George Pau-Langevin, adjointe en charge de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité auprès de la Défenseure des droits, à venir conclure notre temps d’échange. Merci.

- George Pau-Langevin : Bonjour à toutes et à tous. Il me revient, au terme de cette matinée, que je pense, comme moi, vous avez trouvée dense, riche, parfois émouvante, parce que nous parlons quand même de sujets qui sont des sujets graves et susceptibles de concerner un peu tout le monde, je voudrais donc clôturer, et tout d’abord, encore une fois, m’associer aux remerciements de la Défenseure des droits pour vos interventions et vos prises de parole. Et, bien évidemment, féliciter nos équipes qui ont préparé cette matinée. Nous l’avons vu, les pouvoirs publics et l’ensemble des organisations publiques ou privées sont confrontés aujourd’hui à un défi majeur sur cette question de santé au travail : la prise en considération des maladies chroniques en forte augmentation et la prévention des discriminations liées à l’état de santé ou au handicap qui peuvent y être associées. Nous devons maintenant nous préparer à ce que ce problème soit de plus en plus important. Vos constats, les initiatives que vous avez présentées plaident en faveur d’un engagement de l’ensemble des ac teurs concernés. Face à la persistance des discriminations à l’embauche que révèle cette étude et dans le prolongement des évolutions législatives, le principe de non-discrimination dans l’accès à l’emploi de personnes atteintes de pathologies chroniques doit tout d’abord être consolidé. A cette fin, nous resterons particulièrement attentifs aux travaux du comité interministériel d’évaluation des textes encadrant l’accès au marché du travail des personnes atteintes de maladies chroniques qui a été prévu, même si, je l’ai bien noté, j’ai noté les réserves de l’animateur du comité sur la manière dont il peut fonctionner. L’appréciation des conditions d’aptitude doit se faire de manière individuelle, in concreto, au regard de la capacité réelle à exercer les fonctions et en prenant en considération les possibilités de traitement et de compensation de la pathologie et/ou du handicap.
Ça fait partie des positions que nous adoptons régulièrement dans les notes ou décisions que nous prenons quand ce type de sujet nous est soumis.
Les dispositions légales en matière de lutte contre les discriminations fondées sur l’état de santé ou le handicap dans l’emploi et leur effectivité doivent être également renforcées. S’agissant notamment de l’obligation d’aménagement raisonnable, et j’ai bien compris qu’il fallait réfléchir à ce que nous entendons par ce mot, elle est formellement mentionnée dans le code du travail et dans le code général de la fonction publique.
Toutes ces dispositions ne couvrent pas l’ensemble des secteurs de travail et d’emploi, et notamment ceux qui ne relèvent pas du code du travail ou de l’une des trois fonctions publiques.
Le Défenseur des Droits demande donc expressément le fait de pouvoir modifier cette loi pour y inscrire expressément l’obligation d’aménagement raisonnable dans tous les domaines et secteurs concernés, conformément aux recommandations du comité des droits des personnes handicapées des Nations unies.
Pour rappel, les aménagements raisonnables ne se limitent pas aux seuls aménagements ergonomiques du poste de travail, mais concernent tout type d’aménagement. Par exemple l’adaptation des locaux de l’entreprise, salles de réunion, locaux de restauration, afin de les rendre accessibles, mais aussi l’adaptation des horaires ou rythmes de travail ou organisation du travail, travail à domicile, télétravail, et sensibilisation des équipes travail. Je crois dire d’ailleurs que nous essayons aussi de faire penser à l’aménagement par exemple des sites Internet, par exemple, pour que ce soit accessible à une personne malvoyante, etc. Nous avons là encore des tas d’aspects à envisager pour arriver véritablement à une accessibilité qui soit suffisamment large pour prendre en compte les difficultés de tout un chacun.
Or, le respect de cette obligation est déterminant pour garantir l’égalité de traitement dans l’emploi à l’égard des personnes concernées par un handicap ou une maladie chronique. Il est essentiel que l’ensemble des acteurs du travail et de l’emploi s’en emparent afin d’en garantir l’effectivité. Les pouvoirs publics, et vous l’avez encore dit ce matin, doivent également procéder à une bonne évaluation de la pénibilité des métiers et mettre en œuvre une politique volontariste de prévention renforcée des emplois les plus à risque. On l’a vu avec les gens qu’on a vus dans les vidéos, c’était extrêmement frappant. On constate aujourd’hui que les maladies chroniques d’origine professionnelle touchent avant tout les ouvriers et les employés et qu’il faut donc une attention particulière, notamment dans les secteurs employant une part importante de salariés non qualifiés.
Pour faire le lien avec notre précédent baromètre qui portait sur les conditions de travail et les discriminations des personnels relevant du secteur des services à la personne, nous notons que les métiers à prédominance féminine, aide à domicile, aide-soignante, etc., doivent notamment être revalorisés en tenant compte de leur pénibilité souvent sous-évaluée et en application du principe « un salaire égal pour un travail de valeur comparable », car tout le monde a compris aujourd’hui qu’il faut un salaire égal pour un travail égal, ce qui n’est d’ailleurs pas toujours respecté, mais nous soulignons, notamment en prenant en compte la question des emplois plutôt féminins, qu’il faut un salaire égal pour des emplois de valeur comparable, parce que, effectivement, c’est vrai qu’il y a une pénibilité importante pour un certain nombre de femmes alors que leurs emplois ne sont pas forcément perçus comme pénibles et indemnisés en tant que tels.
Par conséquent, il faut que chaque employeur veille à ce que l’obligation de formation des recruteurs instituée par la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté soit pleinement mise en œuvre dans leur organisation et qu’elle intègre les enjeux liés aux maladies chroniques et au handicap. Cette obligation de formation devrait également faire l’objet par les pouvoirs publics d’un suivi et d’une évaluation afin de veiller à son effectivité.
Cette politique de prévention doit également permettre de donner aux cadres, aux services des ressources humaines, là encore, on en a parlé, aux représentants du personnel et à l’ensemble du personnel encadrant la capacité d’identifier des situations de mal-être au travail et de discrimination à la fois pour les prévenir et pour savoir comment y faire face. Au regard des résultats de l’enquête, l’information, la sensibilisation et la formation des managers de proximité et des collègues constituent des leviers essentiels pour assurer un environnement de travail non-discriminant qui tienne compte des difficultés des personnes malades et lutter activement contre les préjugés et la stigmatisation liés à la maladie. Nous avons été très sensibilisés à ces questions dans la matinée. D’autres pistes d’action doivent être engagées, d’abord pour mieux considérer les capacités et ressources des individus plutôt que leurs limitations ou restrictions d’aptitude.
Favoriser le dialogue et la coordination entre les acteurs du maintien dans l’emploi et les salariés dont la santé est fragilisée, mettre en place des dispositifs internes de recueil et de traitement des signalements de discrimination, ou encore identifier et partager les bonnes pratiques respectueuses des droits fondamentaux des personnes malades ou handicapées, par exemple des clubs d’entreprises, comme nous l’avons vu ce matin. A cet égard, il apparaît important de créer des conditions favorables à l’expression des besoins d’aménagement par les salariés et ainsi permettre une réponse appropriée de l’employeur. Les moyens dédiés aux acteurs clés de la prévention de la santé au travail et de la lutte contre les discriminations doivent être considérablement renforcés, afin notamment d’assurer une meilleure information aux salariés sur leur droit au recours.
Les résultats de ce baromètre soulignent le rôle capital joué par la médecine du travail, les représentants du personnel et les syndicats, les référents handicap et l’inspection du travail, vers qui les salariés se tournent souvent en cas de discrimination liée à l’état de santé ou au handicap.
Malgré les avancées relevées, la médecine du travail et l’inspection du travail n’ont pas toujours les moyens suffisants pour mener à bien leurs missions, et donc l’obligation de désigner un référent handicap est importante alors n’elle n’est pas systématiquement respectée. Si les organisations syndicales semblent bien engagées dans la lutte contre la désinsertion professionnelle, il apparaît nécessaire d’accompagner au mieux les partenaires sociaux sur cet enjeu et de les outiller davantage dans les négociations collectives.
Dans le milieu professionnel, l’inclusion des personnes malades ou en situation de handicap, qu’elles aient une reconnaissance administrative de leur handicap ou non, suppose aussi de privilégier, lorsque cela est possible, une gestion collective et concrète des difficultés, respectueuse du choix personnel du salarié de révéler ou non sa maladie, et à laquelle les représentants du personnel doivent être associés. Elle implique de prendre en compte les situations de travail, spécificités et contraintes du secteur d’activité, de l’organisation, du service, du poste, afin de mettre en œuvre et d’ancrer dans la pérennité des bonnes pratiques et procédures adaptées. Enfin, au-delà des enjeux de prévention, d’accompagnement et d’aménagement dans l’emploi, pour celles et ceux qui sont durablement éloignés de l’emploi, les pouvoirs publics doivent prendre les mesures appropriées pour « sortir de la précarité les personnes malades ou handicapées qui, en raison de leur maladie ou handicap, ne peuvent subvenir à leurs besoins, en leur garantissant un revenu d’existence adéquat pour leur permettre de participer pleinement et effectivement à la société sur la base de l’égalité avec les autres ». Enfin, je vous rappelle que le Défenseur des Droits peut être gratuitement et confidentiellement saisi par toute personne qui s’estime victime d’une discrimination en raison de tout critère prohibé, je rappelle aussi la plateforme antidiscriminations.fr, lancée le 12 février 2021, qui a pour objectif de rendre visibles les discriminations et de proposer des recours à ceux qui en sont victimes, il comprend un numéro d’appel gratuit, le 3928, un site Web, avec un chat, et un annuaire recensant plus de 1200 points d’accès aux droits, mobilisant les acteurs partenaires, ce qui permet aux personnes s’estimant victimes d’effectuer des recherches par département, critères et domaines pour identifier le type d’accompagnement qui correspond à leur situation. A l’instar des saisines que nous recevons en matière de handicap, qui reste le premier critère pour lequel nous sommes saisis en matière de discrimination, il est essentiel que les salariés et les agents publics confrontés à des discriminations liées à leur maladie chronique puissent également mobiliser cet outil qu’est notre plateforme. Je vous remercie pour votre attention.

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