Avis au Parlement

Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude sociale : la Défenseure des droits publie un deuxième avis au Parlement

12 décembre 2025

Dans un avis au Parlement publié le 31 octobre 2025, la Défenseure des droits avait fait part de ses analyses et recommandations sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales déposé au Sénat par le Gouvernement. Alors que l’examen du texte se poursuit devant l’Assemblée nationale, la Défenseure des droits publie un deuxième avis au Parlement.

Dans son avis 25-08 du 31 octobre 2025, la Défenseure des droits rappelait que si la lutte contre la fraude constitue un objectif légitime, sa poursuite ne saurait justifier des atteintes disproportionnées ou discriminatoires aux droits des personnes concernées. Elle renouvelle ses alertes dans ce nouvel avis et considère que les modifications apportées au projet au cours du débat parlementaire n’ont pas permis de prévenir les risques d’atteintes aux droits mais qu’au contraire, certains amendements adoptés les ont augmentés et contribuent à aggraver le phénomène déjà massif de non-recours aux droits sociaux.

La suspension des prestations sur simple suspicion : une mesure d'une particulière gravité

Les articles 28 et 29 du projet de loi prévoient la suspension conservatoire des prestations et allocations en cas de « doute sérieux de fraude ». Cette mesure, mise en œuvre avant même que la fraude ne soit établie, pourrait s'appliquer pendant trois mois sur la base de simples « indices sérieux » de manœuvres frauduleuses.

Jusqu'à présent, aucune suspension ne pouvait être prononcée avant que les éléments matériels et intentionnels constitutifs de la fraude ne soient établis à l’issue d’une procédure contradictoire.

Pour la Défenseure des droits, ces dispositions constituent des atteintes graves aux droits des personnes concernées :

  • Ces nouvelles dispositions viennent remettre en cause ce principe central des droits de la défense des personnes concernées ;
  • Elles entrent en contradiction avec le principe du droit à l'erreur consacré par la loi ESSOC de 2018, qui a fait de l'intentionnalité un élément nécessaire à la caractérisation de la fraude. La loi ESSOC a mis à la charge de l'administration la démonstration de la mauvaise foi de l'assuré. Or, les articles 28 et 29 permettent de sanctionner en cas de doute sur cette intention.
  • Ces dispositions constituent une atteinte grave au droit à des moyens convenables d’existence. La suspension conservatoire pourrait en effet s'appliquer aux minima sociaux tels que le RSA, l'allocation aux adultes handicapés ou le minimum vieillesse. Elle priverait ainsi de protection les personnes les plus précaires et leurs familles et les empêcherait de subvenir à leurs besoins essentiels, et ce en l'absence de toute qualification de fraude.
  • La suspension des prestations envisagée aux articles 28 et 29 du projet de loi peut être mise en œuvre sur des critères particulièrement vagues (« indices sérieux », « manœuvres frauduleuses »…) ce qui entraine un risque élevé de décision arbitraire ;
  • La Défenseure des droits alerte sur des risques d’atteintes sérieuses aux droits d’un grand nombre de personnes alors que la nécessité de telles mesures n’est pas établie.
  • Le taux de recouvrement des indus frauduleux par les caisses d'allocations familiales atteint aujourd’hui 78%, ce qui signifie que la grande majorité des allocataires s'acquittent effectivement de leur dette. Or, le dispositif ne prévoit pas d'appliquer cette suspension exclusivement aux personnes présentant un risque de non-remboursement mais à tous ceux suspectés de fraude.

Par conséquent, la Défenseure des droits recommande le retrait des articles 28 et 29 du projet de loi.

La création de nouvelles sanctions à effet différé et prolongé qui portent atteinte à des droits garantis constitutionnellement

Le projet de loi introduit également de nouvelles formes de sanctions dont les effets se prolongent dans le temps :

  • L'inscription des fraudeurs au répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) pendant 10 ans (article 2 ter du projet de loi)
    Le RNCPS permet aux acteurs de la protection sociale (organismes, gestionnaires et collectivités territoriales), à partir du numéro d’inscription au répertoire (NIR) et de l’état civil d’un individu, d’accéder à l’ensemble des informations concernant sa protection sociale et notamment ses caisses et régimes d’affiliation ou ses prestations perçues.
    L’article 2 ter prévoit que les personnes ayant fraudé peuvent y être recensées pendant 10 ans.
  • La suspension du tiers payant pour les personnes sanctionnées ou condamnées pour fraudes (article 17 ter du projet de loi)

Au nom de la lutte contre la fraude, ces deux mesures constituent des ingérences dans des droits garantis constitutionnellement et conventionnellement : le droit à bénéficier de moyens convenables d’existence, le droit à la protection de la santé ou encore le droit de propriété. Or, ces restrictions ne sont ni adaptées, ni nécessaires, ni proportionnées au regard de l’objectif poursuivi.
La Défenseure des droits recommande par conséquent le retrait des articles 2 ter et 17 ter du projet de loi.

Consulter l'avis 25-09 du 3 décembre 2025

Consulter l'avis 25-08 du 31 octobre 2025

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