Avis au Parlement

Avis sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales

31 octobre 2025

Le 14 octobre 2025, le Gouvernement a déposé au Sénat un projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Dans un avis au Parlement publié le 31 octobre 2025, la Défenseure des droits fait part de ses analyses et recommandations.

Les objectifs annoncés du projet de loi

Selon l’exposé des motifs, l’objectif poursuivi par le projet de loi est de mettre fin aux fraudes aux finances publiques qui constituent une atteinte au pacte républicain, affaiblissent la confiance des citoyens, fragilisent la justice sociale, pèsent sur les finances publiques et compromettent la trajectoire de désendettement de la Nation.

Le projet de loi propose 3 leviers d’action :

  • La détection des fraudes : approfondissement de la mise en commun des informations entre administrations (articles 2 à 9) et renforcement des moyens d'enquête des organismes de sécurité sociale (articles 10 à 12)
  • Les sanctions : réduction des possibilités de perception frauduleuse de revenus, renforcement de la cohérence des sanctions (articles 13 à 15) et alourdissement des sanctions administratives et pénales (articles 16 à 20)
  • Le recouvrement : amélioration du recouvrement des sommes frauduleusement versées (articles 21 à 27)

Des risques d’atteintes aux droits et libertés

L’avis 25-08 de la Défenseure des droits souligne la légitimité des objectifs de lutte contre la fraude en matière fiscale et de protection sociale qui constituent des objectifs à valeur constitutionnelle mais regrette la focalisation exclusivement répressive de ce texte qui risque d’aggraver le phénomène de non-recours aux droits, aujourd'hui bien plus massif que la fraude sociale elle-même (le taux de non-recours aux prestations sociales est estimé autour de 30 %, contre 3,2 % pour la fraude détectée ou non).

La Défenseure des droits identifie plusieurs dispositions susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés :

Extension des prérogatives des structures départementales en charge du handicap et de l’autonomie en matière de lutte contre la fraude

L’article 6 du projet de loi vise à confier aux maison départementales des personnes handicapées (MDPH) et aux services départementaux en charge de l'autonomie de nouvelles compétences pour lutter contre la fraude.

La Défenseure des droits souligne que la fraude aux prestations liées au handicap et à l'autonomie est marginale (1,46 % de la fraude aux prestations sociales) et que les MDPH sont déjà en sous-effectifs et peinent à offrir un service de qualité à leurs bénéficiaires.

L'ajout d'une mission supplémentaire sans moyens supplémentaires risque de dégrader davantage le service rendu par ces structures et l’accompagnement dont bénéficient les personnes en situation de handicap et de perte d’autonomie.

Extension du droit de communication aux caisses primaires d'assurance maladie (CPAM)

Le projet de loi prévoit des mesures pour renforcer les échanges d’informations entre les administrations à des fins de lutte contre la fraude fiscale.

Depuis 2008, un « droit de communication » permet aux agents des organismes de sécurité sociale de vérifier auprès d’un tiers les informations déclarées par l’allocataire. 

L’article 10 du projet de loi prévoir d’étendre le recours au droit de communication aux directeurs des caisses primaires d'assurance maladie et aux agents placés sous leur responsabilité agissant en matière de lutte contre la fraude.

Pour la Défenseure des droits, compte tenu de la nature des informations recueillies et de l'ingérence dans la vie privée qui en résulte, ce droit de communication devrait être entouré de garanties renforcées. En particulier, dès la demande de prestation, le demandeur devrait être informée de la possibilité pour l’administration d’exercer cette prérogative.

Limitation du versement des allocations de chômage sur des comptes bancaires domiciliés en France ou dans la « zone euro ».

L’article 13 du projet de loi prévoit que les allocations de chômage soumises à condition de résidence en France ne peuvent être versées par France Travail que sur des comptes domiciliés en France ou dans l'espace unique de paiement en euros de l'Union européenne.

Cette disposition s’oppose au principe de prohibition des discriminations sur le fondement de la domiciliation bancaire établi par la loi du 27 mai 2008. Par ailleurs, France Travail pouvant contrôler le respect de la condition de résidence en France par d'autres moyens, cette mesure n'est ni nécessaire, ni appropriée.

Interdiction du cumul entre revenus illicites et assurance chômage 

Le projet de loi prohibe le cumul des produits tirés d'activités illicites avec les allocations chômage.

Cette disposition présente deux risques :

  • Un risque de privation injustifiée de droits : France Travail se fondera sur des informations transmises par l'administration fiscale, elles-mêmes issues de constatations réalisées dans le cadre de procédures judiciaires sans attendre que la condamnation pénale soit définitive. Des décisions administratives pourraient ainsi être prises sur le fondement d'éléments ultérieurement écartés par la justice.
  • Une portée incertaine : la rédaction actuelle ne permet pas de déterminer si le demandeur d'emploi serait privé de l'ensemble de ses prestations ou si le montant serait simplement réduit à hauteur des revenus illicites. Dans la première hypothèse, il ne s'agirait plus de récupérer des sommes indues mais de sanctionner administrativement, sans respecter les droits de la défense.

La Défenseure des droits recommande de prévoir le réexamen de la situation en présence de nouveaux éléments (jugement pénal définitif, annulation de la décision fiscale…), y compris plusieurs années après le recouvrement.

Elle recommande de préciser que le montant des allocations est réduit uniquement à hauteur des revenus illicites effectivement constatés

Amélioration du recouvrement des fraudes aux allocations de chômage

L'article 27 du projet propose de permettre à France Travail de réaliser des saisies à tiers détenteurs et des retenues intégrales des versements à venir en cas de « manquement délibéré » ou de « manœuvres frauduleuses ».

Ces notions ne correspondent pas aux qualifications expressément prévues par la réglementation de l’assurance chômage qui ne mentionne que les fraudes ou fausses déclarations et induisent un risque d’incertitude juridique. La Défenseure des droits recommande donc d’harmoniser les qualifications utilisées.

Par ailleurs, le texte prévoit la retenue intégrale des versements à venir en cas de fraude avérée. Cette pratique porterait atteinte au droit à des moyens convenables d'existence.

En synthèse, la Défenseure des droits appelle à un rééquilibrage du projet de loi entre répression de la fraude et protection des droits des usagers. La lutte contre la fraude ne peut se faire au détriment de ces droits et notamment du droit à des moyens convenables d'existence et des droits de la défense, sous peine d'aggraver le phénomène déjà massif de non-recours aux droits sociaux.

Consulter l'avis 25-08

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