
Le Comité contre la torture des Nations unies formule ses observations finales après l’examen de la France
28 mai 2025
Chaque État partie aux principaux traités relatifs aux droits de l’homme doit rendre compte périodiquement des mesures qu'il a mises en œuvre pour leur application. Les 23 et 24 avril 2025, avait lieu à Genève le 8ème examen périodique de la France par le Comité contre la torture des Nations unies. Les conclusions rendues par le Comité, le 30 avril 2025, rejoignent de nombreuses recommandations du Défenseur des droits.
Le Comité contre la torture de l’Organisation des Nations Unies est chargé de veiller au respect de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par les États qui l’ont ratifiée. Les États parties lui soumettent un rapport en principe tous les 4 ans. Le huitième rapport périodique de la France a été examiné par le Comité en avril 2025 lors de sa 82e session.
Pour éclairer les travaux du Comité, la Défenseure des droits lui avait adressé une contribution en mars 2025.
Le 30 avril, le Comité a rendu ses observations finales dans lesquelles il formule un nombre important de recommandations qui rejoignent en partie celles portées par la Défenseure des droits. La France était invitée à répondre à plusieurs d’entre elles d’ici le 2 mai 2026.
La Défenseure des droits veillera à la mise en œuvre de ces recommandations par l’État.
Garanties juridiques fondamentales pour les personnes privées de liberté
Le Comité invite la France à garantir que « toutes les personnes détenues bénéficient, tant en droit que dans la pratique et dès le début de leur privation de liberté, de toutes les garanties juridiques fondamentales pour la prévention de la torture ». Il insiste également sur la nécessité de former adéquatement les agents concernés, de contrôler le respect de ces garanties et de sanctionner les manquements.
Ces préoccupations vont dans le sens de celles du Défenseur des droits, qui recommande de garantir le respect par les forces de sécurité des droits des personnes privées de liberté placées sous leur autorité, de prendre rapidement les mesures pour garantir l’effectivité des enquêtes en cas d’allégation de manquement et de renforcer leurs formations.
Droit d’asile et non-refoulement
Le Comité se déclare préoccupé par les informations selon lesquelles « des migrants et demandeurs d’asile, y compris des enfants non accompagnés, sont régulièrement renvoyés de force de façon expéditive », notamment à la frontière franco-italienne, « sans avoir eu accès à une procédure d’asile », ni la possibilité de contester les mesures imposées.
Il recommande ainsi que « tous les demandeurs d’asile […] aient accès à des procédures de détermination du statut de réfugié équitables et efficaces et ne soient pas refoulés ».
Ces observations rejoignent les constats préoccupants et les recommandations formulés par le Défenseur des droits dans sa décision-cadre n°2024-061 du 23 avril 2024, qui relevait des entraves graves, généralisées et durables à l’accès à la procédure d’asile à la frontière franco-italienne, y compris pour les mineurs non accompagnés.
Conditions de détention
Le Comité se dit préoccupé par la persistance de la surpopulation carcérale en France et recommande de mettre en place un mécanisme de régulation carcérale contraignant. C’est également en ce sens que s’est prononcée la Défenseure des droits en préconisant un tel mécanisme et la mise en œuvre d’un plan de réduction de la surpopulation des prisons qui porte sur l’ensemble des facteurs qui concourent à l’inflation carcérale.
Concernant le recours très fréquent aux fouilles intégrales, le Comité rappelle que celles-ci doivent être « strictement limitées aux situations où elles sont justifiées par des éléments sérieux » et menées dans « le respect des principes de nécessité et de proportionnalité ». La Défenseure des droits partage cette recommandation, préconisant également une formalisation par écrit et systématique des décisions de recours aux fouilles, afin de garantir l’exercice utile d’un recours, ainsi que des mesures particulières concernant le recours aux fouilles à l’égard des personnes mineures.
Le Comité recommande par ailleurs de « mettre fin au placement à l’isolement des détenus présentant des troubles psychiatriques » lorsqu’il pourrait aggraver leur état, et d’« envisager des mesures alternatives à l’isolement pour assurer la protection des détenus homosexuels et transgenres ». Dans sa décision cadre n° 2020-136 du 18 juin 2020 relative au respect de l’identité de genre des personnes transgenres, le Défenseure des droits a estimé que les solutions apportées qui consistent à enfermer les personnes transgenres à l’isolement constituent des atteintes aux droits puisque, placé à l’isolement, le ou la détenue ne peut se rendre aux activités collectives, cantiner et subit une aggravation de peine. La Défenseur des droits recommande que les personnes transgenres incarcérées soient affectées dans un établissement ou un quartier correspondant à leur identité de genre dès lors que ces dernières en expriment la volonté et sont engagées dans un parcours de transition sans attendre que le changement d’état civil soit intervenu. Les fouilles devraient alors être réalisées par des agents du même genre, préalablement sensibilisés à la transidentité. Il préconise également que le recours à l’isolement disciplinaire soit systématiquement justifié au regard de la loi et des principes de nécessité et de proportionnalité, et qu’il soit motivé en fait et en droit.
Enfin, sur l’accès aux soins psychiatriques en détention, le Comité va dans le sens des recommandations du Défenseur des droits qui formule une série de préconisations et appelle notamment à « augmenter l’offre de soins psychiatriques » et à renforcer la présence de « personnel de santé spécialisé ».
Rétention administrative et détention dans les zones d’attente
Le Comité appelle à ce que la rétention administrative « soit utilisée en dernier recours » et « pour la durée la plus courte possible », avec un recours utile à un juge pour statuer sur la légalité de la mesure.
Le Comité recommande également d’accélérer l’extension de l’interdiction de la rétention des enfants à Mayotte et de mettre un terme à leur détention pour des motifs uniquement liés à leur statut migratoire. De longue date, la Défenseure des droits demande l’interdiction du placement de tout mineur en CRA sur l’ensemble du territoire, mais également en LRA ou en zone d’attente.
Usage excessif de la force par les forces de l’ordre et contrôles d’identité
Le Comité se dit vivement préoccupé par les nombreuses allégations d’usage excessif de la force par les forces de l’ordre et formule une série de recommandations. Il appelle notamment à une révision du cadre juridique et une meilleure formation des agents en matière d’usage de la force et des armes à feu.
Sur le maintien de l’ordre, le Comité recommande de réexaminer l’opportunité d’autoriser les forces de l’ordre à utiliser des armes intermédiaires et de s’assurer du port systématique et visible de l’identifiant RIO. Cela rejoint les recommandations formulées par la Défenseure des droits. Il a, dans sa contribution, recommandé notamment « l’interdiction du LBD 40x46 dans le contexte des opérations du maintien de l’ordre », la fin des « interpellations préventives et de la technique de la nasse » et la garantie du « port apparent et lisible du numéro d’identification individuelle des forces de l’ordre ».
Enfin, le Comité recommande la mise en place d’un mécanisme effectif de contrôle judiciaire et de traçabilité des contrôles d’identité. C’est une des recommandations que la Défenseure des droits porte en vue de lutter contre les contrôles d’identité discriminatoires.
Lutte contre la traite des êtres humains
Le Comité adresse plusieurs recommandations à la France afin de lutter contre la traite des êtres humains, notamment : la formation des juges, des membres des forces de l’ordre et des agents des services chargés de l’immigration et du contrôle aux frontières au repérage précoce des victimes de la traite et à leur orientation vers les services sociaux et juridiques compétents », ainsi que la création de foyers spéciaux bien équipés et dotés de personnel qualifié pour répondre à leurs préoccupations et besoins particuliers.
Ces observations font écho aux recommandations du Défenseur des droits visant à renforcer la formation de l’ensemble des professionnels au repérage et à l’accompagnement des mineurs victimes de traite et à créer et à multiplier les dispositifs de repérage et d’accueil adaptés aux mineurs, notamment en situation de rue (voir en ce sens la décision-cadre 2025-005 relative à la protection de l'enfance).
Protection des droits des personnes intersexuées
Le Comité contre la torture appelle la France à « [prohiber] expressément le fait de soumettre un enfant intersexe à un traitement médical ou chirurgical non urgent et non essentiel avant qu’il ait atteint un âge ou une maturité suffisants pour […] donner son consentement préalable, libre et éclairé ». Il souligne aussi l’importance de « faire en sorte que les victimes […] obtiennent une réparation » et de garantir « un soutien psychologique et social » aux personnes concernées et à leurs proches.
Ces recommandations rejoignent celles formulées en 2017 dans l’avis 17-04 du Défenseur des droits relatif au respect des personnes intersexes qui recommande que le principe de précaution guide les pratiques médicales et que les interventions non urgentes soient différées jusqu’à ce que l’enfant puisse exprimer son consentement. Il insiste également sur la nécessité de mieux informer les parents sur l’état de santé de leur enfant et les options médicales existantes et recommande la mise en place d’une indemnisation via un fonds d’indemnisation, sur le modèle de l’office national d’indemnisation des accidents médicaux afin de réparer les préjudices subies par les personnes intersexes. Il appelle en outre à « renforcer la formation initiale et continue des personnels des forces de l’ordre sur cette question ». Enfin, dans sa décision cadre n° 2020-136, la Défenseure des droits a recommandé à la ministre de la Justice de mettre en place des procédures de changement de prénom(s) et de la mention du sexe à l’état civil qui soient déclaratoires, accessibles et rapides, par la production auprès des officiers d’état civil d’une attestation sur l’honneur circonstanciée caractérisant un intérêt légitime, afin de garantir les droits fondamentaux et la dignité des personnes transgenres et intersexes d’ouvrir la possibilité de changer de mention de sexe à l’état civil aux mineurs non émancipés, dans le cadre d’une procédure judiciaire initiée par les représentants légaux et au cours de laquelle le consentement de l’enfant devra être recueilli afin de permettre le report de l’inscription du sexe à la naissance et de prévenir les atteintes au droit à la vie privée des enfants concernés.
La Défenseure des droits salue la prise en compte de nombreuses préoccupations qu’elle a portées devant le Comité. Elle suivra avec attention les suites données à ces recommandations, que le Comité invite l’État à diffuser largement, notamment via ses sites officiels, les médias et les organisations non gouvernementales. Le Comité a par ailleurs fixé au 2 mai 2029 la date limite pour la remise du neuvième rapport périodique de la France, qui sera établi selon la procédure simplifiée.