Communiqué de presse

Projet de loi Mayotte : Garantir l’avenir de Mayotte en respectant les droits fondamentaux

06 juin 2025

Avant sa discussion à l’Assemblée nationale, la Défenseure des droits, dans un avis rendu public ce jour sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte récemment adopté au Sénat, recommande l’abandon ou la révision de plusieurs dispositions qui renforcent le caractère dérogatoire du droit applicable à Mayotte et sont susceptibles de porter gravement atteinte aux droits fondamentaux des personnes.

Consulter l'avis 25-07

L’exigence du respect des droits fondamentaux

L’article 73 de la Constitution dispose que « dans les départements et les régions d’outre-mer [tels que Mayotte], les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ». 
Si la création d’un droit dérogatoire à Mayotte implique une différenciation qui s’avère dans certains cas nécessaire, afin que la protection des droits des personnes sur le territoire soit pleinement effective, la Défenseure des droits rappelle que de telles adaptations doivent être proportionnées et ne peuvent constituer une remise en cause des droits fondamentaux.

Les auteurs du projet de loi de programmation ont introduit des dispositifs dérogatoires qui tendent à prendre en compte certaines difficultés spécifiques du territoire. Cependant, ce projet de loi porte atteinte à certains droits parmi les plus fondamentaux.

Une restriction sans précédent du droit au séjour pour motif familial

L’article 2 du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte introduit des restrictions majeures au droit au séjour des étrangers, en particulier des parents d’enfants français. 

En imposant l’obligation de visa de long séjour, en réduisant significativement le pouvoir d’appréciation de l’autorité préfectorale sur une situation au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et de l’intérêt supérieur de l’enfant, et en allongeant les délais nécessaires pour l’obtention d’une carte de résident, ce texte accroît considérablement les risques de violations des droits et libertés des étrangers sur ce territoire.

La Défenseure des droits soutient que la spécificité territoriale invoquée ne saurait justifier une telle dérogation à des principes fondamentaux, notamment ceux de non-discrimination, d’intérêt supérieur de l’enfant et d’égalité.

Une dérogation dans la lutte contre l’habitat informel qui fragilise les droits des personnes évacuées

Alors que la situation en matière de logement et d’hébergement est très dégradée à Mayotte, l’article 10 du projet de loi introduit, pour la première fois, la possibilité au représentant de l’État d’ordonner l’évacuation de quartiers d’habitat informel, sans obligation de proposer un hébergement d’urgence aux occupants. Cette dérogation, valable jusqu’en 2034, repose sur une simple obligation de moyens et se réfère « aux circonstances locales », sans définir avec précision la signification de cette expression, laissant ainsi une marge d’appréciation très importante et fragilisant les droits des personnes évacuées.

Adopté en l’état, ce dispositif constituerait un recul majeur des droits fondamentaux, en faisant peser sur les occupants les défaillances de l’État dans le déploiement de sa politique d’hébergement et de logement. Sans mesures d’accompagnement adaptées, ces évacuations risquent d’être inefficaces, conduisant à la reconstitution rapide des habitats informels et à un nomadisme forcé des populations concernées.

Dans ces conditions, la Défenseure des droits recommande le retrait de l’article 10 du projet de loi.

La rétention administrative des mineurs : une mesure dérogatoire qui va à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant

L’article 7 du projet de loi introduit une dérogation préoccupante au droit commun en autorisant la rétention administrative d’un étranger accompagné d’un mineur. 

La Défenseure des droits rappelle que cette mesure, si elle venait à s’appliquer, constitue une atteinte grave aux droits de l’enfant, en contradiction manifeste avec l’intérêt supérieur de ce dernier tel que reconnu par la Convention internationale pour les droits de l’enfant (CIDE). 

Le caractère dérogatoire de ce dispositif, réservé à Mayotte, accentue l’écart de traitement entre les enfants selon leur lieu de résidence. La Défenseure des droits recommande le retrait de cet article.

La convergence des droits sociaux : une nécessité pour l’archipel

Le projet de loi vise également à garantir l’accès des habitants de Mayotte aux biens et aux ressources essentiels et notamment en permettant l’alignement des conditions de bénéfice des prestations sociales à Mayotte sur celles applicables en métropole. Le projet de loi va ainsi dans le sens d’une convergence sociale nécessaire pour garantir l’effectivité des droits à Mayotte mais dans des conditions qui restent à clarifier. La Défenseure des droits sera dès lors particulièrement attentive aux conditions d’application de ce principe.

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Présent à Mayotte depuis 2012, notamment par le biais de son réseau de délégués et de déplacements fréquents des services centraux, le Défenseur des droits a pu, à plusieurs reprises, souligner les atteintes massives et fréquentes aux droits et libertés fondamentaux dans l’archipel. L’institution a rendu public un rapport synthétisant ses analyses,  intitulé Etablir Mayotte dans ses droits (2020). Depuis sa publication, l’institution a renouvelé ces constats dans diverses décisions relatives notamment au droit des étrangers, au droit des enfants et la déontologie des forces de sécurité ainsi que dans quatre décisions récentes ayant trait au droit à l’éducation, à la lutte contre l’habitat informel, à la gestion de la crise de l’eau et à l’accès à la justice.

La Défenseure des droits a notamment souligné les carences en matière de scolarisation. Elle a relevé que l’insuffisance des moyens humains et matériels dont bénéficie l’école entraîne une dégradation considérable des conditions de scolarisation des enfants, certains n’étant scolarisés que quelques heures par semaine (décision n°2025-099). La lutte contre l’habitat informel souffre également de difficultés importantes, les manquements notamment dans l’accompagnement social en amont des évacuations des quartiers d’habitat informel  provoquant des atteintes aux droits des occupants (décision n°2025-102). En 2023, la gestion de la crise de l’eau a eu lieu dans un cadre n’ayant pas permis une information et une participation suffisantes du public aux décisions prises (décision n°2025-101). Enfin, le service public de la justice est aussi confronté à une pénurie structurelle des personnels participant à son fonctionnement et à des défauts d’organisation empêchant les habitants de Mayotte de faire valoir leurs droits (décision n°2025-106). 
Aux termes de ces différentes instructions, la Défenseure des droits a donc formulé des recommandations visant, au-delà du débat parlementaire relatif à ce projet de loi, à améliorer sur le long terme le respect des droits à Mayotte.

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