La Défenseure des droits s’alarme des conditions de vie dégradantes et inhumaines que subissent les exilés à Calais
La Défenseure des droits, Claire Hédon, et ses services se sont rendus à Calais mardi et mercredi. A cette occasion, la Défenseure des droits s’est longuement entretenue avec de nombreux exilés, les associations leur venant en aide, les services de l’Etat, le Préfet, les responsables de l’ensemble des forces de sécurité présents dans le Calaisis, les services en charge de l’accueil des mineurs non accompagnés pour le Département et la Maire de la ville de Calais.
A l’issue de cette visite, la Défenseure des droits réitère les constats déjà formulés par l’institution et son prédécesseur sur les atteintes aux droits fondamentaux les plus élémentaires dont sont victimes les exilés. Claire Hédon, consciente de la difficulté de la situation, demande à ce que des solutions urgentes soient trouvées pour que cessent ces conditions de vie indignes et honteuses.
La volonté d’invisibiliser les exilés à Calais conduit à ce que plus aucun abri ne soit toléré : les personnes – entre 1200 à 1500 selon plusieurs informations croisées - dont des femmes avec des enfants en bas âge, parfois des nourrissons, et des mineurs non accompagnés, dorment à même le sol, cachés sous des buissons, quelles que soient les conditions climatiques, parfois avec une couverture donnée par les associations. Les tentes sont peu nombreuses.
Les exilés sont chassés de leurs lieux de campement tous les deux jours par les forces de l’ordre. Les évacuations constantes des terrains sur lesquels ils dorment ont pour objectif de les forcer à fuir. Les tentes et affaires pouvant être déplacées et par conséquent perdues. Les exilés ne peuvent dès lors plus se reposer et restent constamment en veille. Ils sont visiblement dans un état d’épuisement physique et mental. Ces méthodes intimidantes complexifient encore leur prise en charge par les associations.
Dans ces conditions, l’accès à la nourriture, à l’eau et à l’hygiène est difficile et complexe. Les installations sanitaires réparties dans différents lieux, loin des zones de vie, sont très insuffisantes, avec un seul point d’eau (deux robinets) ouvert 24h/24. La Défenseure des droits a pu constater que les conditions d’hygiène étaient de ce fait déplorables. En cette période de crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid, les populations disposent de peu de masques et le respect des gestes barrières ainsi que le lavage des mains régulier sont impossibles.
Certains exilés n’arrivent pas à manger tous les jours. Les distributions de repas, à horaires variables et pas toujours respectés, sont parfois éloignées des lieux de vie. La Défenseure des droits avait présenté des observations au tribunal administratif de Lille la semaine dernière concernant l’arrêté préfectoral interdisant les distributions alimentaires par les associations, et elle en fera de même auprès du Conseil d’Etat.
La Défenseure est particulièrement préoccupée par la situation des femmes et des enfants. Le manque de structures spécifiques pour les femmes les rend particulièrement vulnérables face à l’exploitation sexuelle et aux violences. Les mineurs non accompagnés dont certains n’ont que douze ou quatorze ans sont également en danger et la proie de réseaux. Si les maraudes de France terre d’Asile et les repérages des associations non mandatées par l’Etat débouchent parfois sur la mise à l’abri de mineurs dans la structure de Saint Omer, la Défenseure des droits constate que le dispositif n’est toujours pas suffisant. La mise en place a minima, d’un accueil de jour dédié et facilement accessible, tel que l’avait préconisé le Défenseur des droits dans ces précédents travaux reste un impératif au regard des obligations de protection de ces mineurs au titre de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE) dont la France est signataire. Le recueil provisoire d’urgence des adolescents le soir et la nuit qui implique un passage par le commissariat revêt un caractère dissuasif compte tenu des démantèlements successifs réalisés par les mêmes forces de l’ordre.
La Défenseure des droits renouvelle en outre ses recommandations s’agissant du processus de réunification familiale des mineurs non accompagnés avec leurs proches en Grande-Bretagne afin de minimiser les prises de risques de ces adolescents qui mettent leur vie en jeu pour tenter de franchir la frontière.
Tout en réitérant ses recommandations générales, notamment à l’égard des mineurs (décision du 20 avril 2016 et rapport de décembre 2018), la Défenseure des droits demande dès à présent la fin de cette traque, la mise en place d’un lieu où les personnes peuvent se reposer, se ressourcer et envisager la suite de leur parcours migratoire.
Les exilés qui se trouvent dans l’impossibilité de rester sur le territoire, et dans l’impossibilité de le quitter disent n’avoir pas d’autres choix, face aux mauvaises conditions d’accueil, que de se mettre dans des situations de fuite en avant extrêmement dangereuses.
Dans son rapport d’octobre 2015, réitéré dans son rapport de 2018, le Défenseur des droits écrivait : « Depuis les années 2000, c’est la crainte du risque "d’appel d’air" que pourrait provoquer un traitement digne et respectueux des droits des migrants qui est à l’œuvre dans la gestion de la situation du Calaisis. Pour ne pas prendre ce risque, les pouvoirs publics ont d’abord cherché à rendre le moins visible possible le regroupement de migrants et à ne pas créer de "points de fixation" ».
La Défenseure des droits constate que c’est encore aujourd’hui cette crainte qui est la principale boussole des pouvoirs publics dans toutes les décisions qui sont prises. Au moment même où la Commission européenne propose d’abolir le règlement de Dublin, la Défenseure des droits souhaite que les discussions s’ouvrent enfin sur les voies légales de l’immigration et exhorte les pouvoirs publics à ne pas s’obstiner dans ce qui s’apparente à un déni d’existence des exilés qui, présents sur notre territoire, doivent être traités dignement, conformément au droit et aux engagements internationaux qui lient la France.