Discriminations : accessibilité des logiciels utilisés par les agents publics, des administrations encore en défaut

Le Défenseur des droits a rendu une décision suite à son enquête relative à la politique numérique des administrations et concernant le défaut d’accessibilité de certains logiciels utilisés par les agents publics atteints de déficience visuelle au sein de leur administration.

En France, 1,7 million de personnes sont atteintes d’une déficience visuelle. Si les nouvelles technologies représentent pour elles une opportunité d’autonomie, elles peuvent également, dans notre environnement numérique, être porteuses de nouvelle forme d’exclusion.

Compétent en matière de lutte contre les discriminations, le Défenseur des droits a été saisi par une association de soutien aux personnes déficientes visuelles, qui considère que le défaut d’accessibilité de certains logiciels de travail pénalise les personnes handicapées dans l’exercice de leur mission, entrave leurs perspectives d’évolution de carrière et d’avancement au sein de la fonction publique et représente une discrimination à l’encontre des travailleurs handicapés. L’enquête du Défenseur des droits a porté sur les effets discriminatoires de la politique numérique des administrations.

Le principe de non-discrimination fondé sur le handicap est consacré juridiquement par les engagements internationaux de la France, notamment l’article 2 de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH) et posé en droit interne par l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983 : « Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leur état de santé ou de leur handicap ».

Ce principe de non-discrimination est une garantie pour les fonctionnaires et les agents publics qui ne peuvent subir de discriminations et astreint l’employeur à respecter une obligation d’aménagement raisonnable. L’employeur est ainsi tenu de prendre les mesures appropriées afin de compenser les désavantages que peut subir un travailleur handicapé par rapport à un travailleur valide, si elles ne constituent pas une charge disproportionnée pour l’employeur.

Ces mesures dépassent l’obligation d’aménagement du poste de travail, des locaux, ou encore celui des horaires de travail. Elles concernent aussi l’aménagement des outils numériques, dès lors que ces outils concourent à l’accomplissement des missions des agents.

Le refus de procéder à des aménagements raisonnables pour permettre à un agent d’exercer son emploi peut être considéré comme une discrimination.

 

Les outils informatiques soumis à l’obligation d’accessibilité

Renforcé par la loi « Pour une République numérique » du 7 octobre 2016, le principe d’accessibilité numérique est un principe de portée générale garanti par le droit international. L’accessibilité permet en effet aux personnes handicapées de vivre de façon autonome et d’assurer leur participation à tous les aspects de la vie.  Énoncée par la Convention Internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), l’obligation d’accessibilité vise à l’élimination des obstacles à l’accessibilité pour assurer aux personnes handicapées l’accès aux systèmes et technologies de la communication. En droit interne, l’article 47 de la loi du 11 février 2005, modifié par la loi du 7 octobre 2016, consacre cette obligation d’accessibilité numérique des services de communication publique en ligne des services de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics qui en dépendent, des organismes délégataires d’une mission de service public et ainsi qu’aux entreprises dont le chiffre d’affaire dépasse un certain seuil. L’accessibilité concerne tous les documents ou applications disponibles depuis un navigateur web et  porte sur les sites internet, intranet, extranet, les applications mobiles, les progiciels et le mobilier urbain numérique.

Afin d’accompagner les administrations dans la mise en œuvre de l’accessibilité numérique tant pour le public que pour ses agents, un référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RGAA) a été établi en 2009. Ce référentiel leur offre une méthodologie pour vérifier le respect effectif des normes et mesurer la conformité des contenus web au regard des standards internationaux.

L’employeur public a donc la responsabilité de s’assurer que l’équipement numérique livré est conforme au RGAA. Le cadre juridique est suffisamment précis et protecteur pour permettre aux agents publics atteints d’un handicap de faire valoir leurs droits et il appartient aux employeurs publics d’assurer l’effectivité de ces droits.

 

Le non-respect par certaines administrations de l’obligation de mise en accessibilité dans un délai raisonnable

La mise en accessibilité des logiciels visés par les réclamants qui ont saisi le Défenseur des droits est parfois considérée comme techniquement complexe et coûteuse par certaines administrations.

Il était donc nécessaire pour le Défenseur des droits, au sein de son enquête, de vérifier si la mise en conformité des logiciels imposait de façon objective une charge disproportionnée pour les administrations, l’obligation d’aménagement raisonnable pouvant être en effet nuancée lorsque les charges pour l’employeur sont disproportionnées. L’objet de l’enquête était également de s’assurer que toutes les mesures appropriées avaient été prises par les ministères afin de se conformer aux recommandations du RGAA.

La mise en œuvre du RGAA doit reposer sur une procédure d’évaluation et une démarche d’accessibilité. Lorsqu’il s’agit d’un nouveau logiciel, la mise en accessibilité est simplifiée : il s’agit de prendre en compte les recommandations du RGAA du début à la fin du projet de création du logiciel. Concernant la mise en accessibilité des applications déjà existantes, elle passe nécessairement par un audit d’accessibilité. Cet audit est essentiel pour permettre de lister les défauts d’accessibilité, de les classer par ordre de priorité, de réaliser un arbitrage d’accessibilité puis de planifier et réaliser les améliorations et enfin de faire une vérification de conformité. La procédure d’évaluation apparait donc comme une mesure nécessaire et appropriée.

Suite à son enquête, le Défenseur des droits a cependant constaté que si les difficultés techniques de mise en accessibilité ne pouvaient être sous-estimées, cet argument est parfois invoqué alors même qu’aucun audit de faisabilité ne permet de l’étayer.

De plus, lorsque la procédure d’évaluation a été engagée, le Défenseur des droits constate que cette démarche a été parfois tardive et après le délai de mise en conformité créant le référentiel d’accessibilité.  Le Défenseur des droits a également relevé que lorsque les travaux de refonte d’un logiciel pour sa mise en accessibilité ont été engagés, leur durée peut apparaitre injustifiée surtout lorsqu’elle n’est pas fondée sur des difficultés techniques ou financières.

Par ailleurs, les enquêtes réalisées par le Défenseur des droits soulignent que les administrations, confrontées aux situations individuelles, ne recherchent pas toujours de solutions alternatives pour mettre à disposition de l’agent un même niveau d’information ou des fonctions similaires, tel que l’impose l’obligation d’aménagement raisonnable. Pourtant, selon une société spécialisée en accessibilité numérique entendue par le Défenseur des droits au cours de son enquête, des solutions alternatives sont envisageables, en analysant les missions et l’environnement de travail, en en aménageant les fonctions, ou par l’utilisation d’un logiciel différent qui serait plus accessible.

Le Défenseur des droits considère que les administrations doivent se mettre en conformité avec leurs obligations, afin d’éviter des situations discriminatoires sources de souffrance au travail, sous peine de mettre en cause leur responsabilité en tant qu’employeurs.

L’enquête du Défenseur des droits auprès de la Direction interministérielle du numérique et des systèmes d’information et de communication (DINSIC) et du Fonds pour l’Insertion des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique (FIPHFP) a porté sur les mesures qui pouvaient être mises en place pour faciliter la mise en accessibilité des applications et des outils bureautiques.

Le Défenseur des droits a ainsi pu constater qu’une insuffisante formation des agents, principalement des chefs de projets et développeurs à la problématique de l’accessibilité, était un frein important à la mise en accessibilité.

Des solutions sont cependant envisageables, telles que des aménagements individuels, des recours à des experts en accessibilité en collaboration avec la DINSIC. Par ailleurs, les administrations peuvent également solliciter une aide financière auprès du FIPHFP pour la mise en accessibilité de leurs logiciels métiers ainsi que pour la réalisation d’audits d’accessibilité.

Constatant le retard accumulé par les administrations en cause, le Défenseur des droits leur recommande de répertorier l’ensemble des logiciels utilisés par leurs agents et de vérifier pour chacun la conformité aux exigences du RGAA afin de mettre en évidence les fonctionnalités non accessibles et de lui en rendre compte dans un délai de 6 mois.

Il recommande également au Premier ministre de veiller aux moyens dont dispose la DINSIC pour mettre en œuvre les objectifs assignés par le décret du 21 septembre 2015 et d’adresser dans un délai de 6 mois une circulaire à l’attention des administrations soulignant leurs obligations en matière d’accessibilité, notamment les agents des directions des systèmes d’information.

 Décision 2017-001 du 9 février 2017 relative au défaut d'accessibilité numérique des logiciels métiers utilisés par les agents publics