Les efforts qu’il reste à faire à la France pour combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre

La défense des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, intersexes (LGBTI) et la lutte contre les discriminations qu’elles subissent est un engagement quotidien du Défenseur des droits. C’est à ce titre que le samedi 6 octobre, Jacques Toubon a ouvert la Journée des rencontres LGBT+ organisée par SOS Homophobie.

Cet engagement l’a également amené, le 18 septembre dernier, à adresser son avis n°18-21 au Comité directeur des droits de l’Homme (CDDH) portant sur la mise en œuvre de la recommandation CM/Rec(2010)5 adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, en 2010. Cette recommandation demandait aux États membres de l’Union européenne de mettre en place des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. En France, le bilan dressé par le Défenseur des droits est mitigé.

 

Des mesures salvatrices pour combattre les discriminations des personnes LGBT

Le Défenseur des droits se réjouit d’importantes avancées législatives depuis 2010, telles que :

  • L’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe ;

  • La levée de l’interdiction aux homosexuels de donner leur sang ;

  • La fin de l’exigence de preuve de l’irréversibilité de la transformation de l’apparence, et donc de stérilité, lors du changement de la mention du sexe à l’état civil. Cependant, le changement d’état civil ne devrait plus être soumis à l’appréciation d’un juge mais devrait pouvoir être déclaratif et rapide et se faire en mairie[1] .

Il salue également la mise en place de dispositifs efficaces pour garantir l’égalité et notamment l’extension, en 2016, du champ d’intervention de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme à la lutte contre la haine et les discriminations à l’encontre des personnes LGBT (DILCRAH) et la mise en place d’un plan gouvernemental de mobilisation contre la haine et les discriminations anti-LGBT.

L’arsenal juridique français pour protéger les victimes de discriminations est satisfaisant puisque les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre sont aujourd’hui réprimées par le droit pénal, administratif et civil et ce, aussi bien dans le domaine de l’emploi que dans l’accès aux biens et services privés et publics.

Cependant, ces discriminations persistent puisqu’une personne LGBT sur trois a été discriminée à raison de son orientation sexuelle au cours de sa vie et plus d’une personne LGBT sur deux a déjà fait l’objet d’une agression homophobe[2]. Il apparait pourtant qu’en 2017, seules 1 026 infractions homophobes ou transphobes ont été enregistrées par les forces de l’ordre[3] et 119 saisines ont été adressées au Défenseur des droits.

 

Des recours peu nombreux et une répression pénale peu efficace

Dans le cadre de sa compétence de lutte contre les discriminations, le Défenseur des droits constate régulièrement que les victimes de discrimination entreprennent peu de démarches pour faire valoir leurs droits[4] et ce, pour plusieurs raisons : impression d’inutilité du recours, peur des conséquences négatives, manque de preuves et méconnaissance des possibilités de recours.

Le faible nombre d'actions en justice s’explique également par les difficultés que les victimes rencontrent pour porter plainte. Le Défenseur des droits étant chargé de veiller au respect de la déontologie des professionnels de la sécurité, il est régulièrement saisi par des associations qui déplorent de mauvaises conditions d’accueil des victimes en commissariat ou brigade de gendarmerie : tutoiement, propos déplacés, refus d’enregistrement de plainte, etc.

 

De nombreuses pistes d’amélioration pour garantir les droits des personnes LGBT

  • Dans le domaine du droit à la vie, à la sécurité et à la protection contre la violence

Le Défenseur des droits constate des atteintes aux droits des personnes détenues, exacerbées s’agissant des personnes LGBT. Les griefs concernent principalement l’encellulement, les brimades et violences ainsi que les difficultés rencontrées par les personnes transgenres.

 

  • Dans le domaine du droit au respect de la vie privée et familiale

Le Défenseur des droits déplore que l’identité de genre soit encore insuffisamment respectée par les organismes privés et publics.

Il recommande, entre autres, l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes et alerte le Comité des Ministres sur la situation d’incertitude juridique des enfants nés d’une gestation pour autrui (GPA) à l’étranger.

 

  • Dans le domaine de l’emploi

20% des personnes LGBT interrogées en France se sont senties discriminées dans la recherche d’un emploi ou au travail au cours des 12 derniers mois et 39% déclarent avoir fait l’objet de commentaires ou d’attitudes négatives au travail.[5]

Pourtant, le Défenseur des droits constate que les structures privées, publiques et les partenaires sociaux semblent encore trop peu sensibilisés et mobilisés sur ce sujet. En 2016, seules 27% des entreprises ayant mis en place une politique de diversité ciblent explicitement le critère de l’orientation sexuelle dans leurs actions de promotion de l’égalité et seules 20% ciblent celui de l’identité de genre[6]. L’investissement est nettement plus important sur les critères du sexe, du handicap et de l’âge, du fait d’obligations positives fixées par la loi.

 

  • Dans le domaine de l’éducation

40% des jeunes homosexuels ont été insultés au cours des 12 derniers mois et 15% ont été agressés physiquement[7]. Quant aux jeunes transgenres, ils se heurtent encore à de nombreux obstacles pour faire accepter leur identité par leur établissement scolaire.

Le Défenseur des droits regrette que la communauté éducative soit encore trop peu sensibilisée à ces sujets et que l’éducation à la sexualité se réduise encore trop souvent à une information sur la contraception ou à une prévention des maladies sexuellement transmissibles. Le Défenseur des droits recommande la mise en place un plan d’action comprenant des campagnes de prévention et de lutte contre les LGBTphobies à destination des élèves, une formation des personnels et la mise en place d’un cadre de référence en matière d’éducation à la sexualité.

 

  • Dans le domaine de la santé

34,7% des personnes homosexuelles qui ont dévoilé leur orientation sexuelle à leur médecin se sont senties jugées[8] et 65% des personnes trans ont eu le sentiment d’avoir été discriminées au cours de leurs entretiens de santé[9]. Cela conduit certaines personnes LGBT à se priver de soins de crainte d’être mal reçues, stigmatisées voire discriminées.

Les pratiques médicales à l’œuvre lors d’un changement de sexe ne respectent, quant à elles, pas la recommandation du Comité des Ministres puisque le parcours de soins « protocolaire » contient, notamment, des expertises psychiatriques. Le Défenseur des droits recommande donc de prendre des mesures afin d’assurer une dépsychiatrisation effective de ces parcours de soins.

Le fait que le remboursement des frais médicaux des personnes transgenres ne soit pas toujours effectif complique l’accès des personnes les moins aisées aux traitements hormonaux ou à des opérations pourtant nécessaires pour obtenir le changement d’état civil.

Enfin, aucune mesure n’a été prise pour garantir l’arrêt total des « thérapie de conversion » ou pour veiller à ce que, sauf raison de santé impérative, aucun enfant présentant une variation du développement sexuel ne voit son corps modifié de façon irréversible sans son consentement libre, total et éclairé.

 

[2] Enquête réalisée pour la Fondation Jean Jaurès et la DILCRAH, publiée en juin 2018 et menée auprès d’un échantillon de 994 personnes homosexuelles, bisexuelles et transgenres, extrait d’un échantillon global de 12 137 personnes représentatif de la population âgée de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine

[5] Enquête de l’Agence pour les droits fondamentaux de l’Union européenne auprès de 93 000 personnes LGBT dans l’UE.

[8] Thibaut JEDRZEJEWSKI, « EGaLe-MG. État des lieux des difficultés rencontrées par les homosexuels face à leurs spécificités de santé en médecine générale en France, Réflexions sur le contexte et les données actuelles, l’histoire et les subjectivités gays et lesbiennes », thèse de doctorat en médecine, sous la direction du Dr Michel OHAYON, université Diderot - Paris 7, 2016

[9] Arnaud ALESSANDRIN, Sociologie des transidentités, Ed. Cavalier Bleu, 2018, pp : 37-49